L’Éphémère aux Yeux d’Étoiles
Un peintre sans visage erre parmi les marées,
Cherchant dans les débris des cieux éventrés
L’âme qui manque à ses toiles délavées.
Son manteau, linceul pris aux tempêtes anciennes,
Traîne l’odeur du sel et des algues lointaines,
Ses doigts tachés d’azur et de mélancolie
Tremblent comme un oiseau blessé par l’harmonie.
Un soir où le soleil saignait dans les embruns,
Il vit danser au loin, sur les rochers défunts,
Une ombre dont les pas effleuraient les abîmes
Et tissaient des reflets plus doux que les cimes.
Ses cheveux déroulaient des nuits sans fin connues,
Ses yeux étaient deux feux que la mer a perdus,
Et sous sa peau nacrée, fragile chrysalide,
Battait un cœur secret que le temps invalidé.
« Êtes-vous le soupir échappé de ma palette ? »
Murmura-t-il, son âme enchaînée au squelette
D’un corps trop lourd pour suivre un rêve aérien.
Elle rit, et ce fut le premier chant syrien :
« Je suis l’écho des mers que nul navire n’atteint,
La gardienne des lys que l’hiver éteint,
Celui qui me touchera deviendra statue,
Et celui qui m’aimera… » — Le vent l’a tue.
Pourtant, chaque crépuscule, il revenait au gouffre,
Offrant en sacrifice des pétales de soufre,
Des coquillages morts et des mots non écrits,
Espérant adoucir l’arrêt du sort maudit.
Elle lui raconta les cités englouties
Dont les cloches d’argent pleurent ensevelies,
Les amants transformés en coraux par les flots,
Et les roses de sable qui meurent en sanglots.
Lui peignit pour elle des jardins de mémoire
Où les soleils défunts bercent leurs histoires,
Des cerfs-volants liés aux chevilles du temps,
Et des nuits où la lune est un diamant lent.
Un jour, il osa dire avec des mains tremblantes :
« Vos silences sont mes couleurs les plus brillantes,
Votre rire inachevé, ce bleu qui me défait —
Permettez à mon cœur de battre à votre rythme. »
Elle posa sur lui son regard de marée basse :
« Vous ne savez donc pas ce que le destin tresse ?
Je suis née du chagrin des constellations,
Ma chair est un mirage, mon sang — maudition. »
Mais il prit ses pinceaux, folie dans les prunelles,
Et traça sur le sable leurs deux ombres jumelles :
« Si je ne puis aimer que cette ombre à mes pieds,
Alors que tout l’azur soit à jamais lié ! »
La mer se tut soudain. Les étoiles figées
Observèrent passer les amants affligés.
Elle mit sur son front une algue en couronne :
« Voici l’unique diadème que je donne. »
Quand vint l’heure où la lune efface les visages,
Il sentit son encre se changer en présages —
Ses doigts se desséchaient, son souffle s’amoindrissait,
Et son cœur se glaçait… Il comprit, et sourit.
« Prenez ce qui restait de feu dans mes artères,
Faites-en un collier pour vos cheveux de pierre.
Je préfère crouler en poussière de sel
Qu’exister sans avoir frôlé votre ciel. »
Elle pleura des pleurs qui brûlent les paupières,
Et l’enlaça soudain comme une vague entière,
Mais déjà son corps n’était que sable mouvant,
Œuvre que le destin disperse en un instant.
Au matin, sur la grève où gémissent les mouettes,
On trouva une toile vierge et deux squelettes —
L’un, crispé sur des tubes de couleurs séchées,
L’autre, fait de corail et d’étoiles broyées.
Depuis, quand vient le soir aux haleines salines,
On entend un pinceau danser sur les ruines,
Et la mer recompose en lettres de courant :
« Les aimants éternels sont ceux qui meurent avant. »
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