L’Exilé des Ombres
Étendent vers le ciel leurs bras désespérés,
Un enfant sans foyer, égaré de ses terres,
Marchait, le cœur transi de souvenirs altérés.
Son nom, Élias, fuyait les lèvres humaines,
Car l’exil l’avait pris au berceau de ses jours.
Les échos de son âme, en reflets incertains,
Cherchaient un lieu natal que la brume recouvre.
Un matin de novembre, alors que les frimas
Découpaient en cristaux les soupirs du vent noir,
Il trouva, sous un roc creusé par les combats,
Une lettre scellée d’un ruban de désespoir.
L’encre, pâle témoin des larmes séchées,
Déroula sous ses yeux un destin déchirant :
« À l’enfant que je n’ose appeler de mon sang,
Je confie l’adieu que la mort m’a caché.
Fuis ces bois où la peur danse avec les racines,
Où chaque ombre répète un crime oublié.
Ton père, accusé d’un forfait imaginaire,
Est tombé sous les coups d’un orgueil délié.
Moi, ta mère, j’ai fui vers les grottes profondes,
Mais les juges sans cœur m’ont traquée en ces lieux.
Ne cherche ni tombeau, ni clarté sous les mondes :
Notre amour est ta pierre au temple des adieux. »
Le parchemin trembla dans sa main éperdue,
Comme une feuille morte aux griffes de l’hiver.
Soudain, les arbres nus, d’une voix éperdue,
Murmurèrent un chant qui glaça l’univers :
« Viens, fils des condamnés, viens goûter à notre ombre,
Boire l’eau des regrets qui coule sans arrêt.
Ton sang est le lien qui unit chaque membre
À ce royaume sourd où nul ne vit en paix. »
Élias, enlacé par les branches funèbres,
Sentit monter en lui l’appel des anciens maux.
Les racines, telles des serpents de ténèbres,
L’entraînèrent au cœur du labyrinthe des eaux.
Là, sous un lac de brume où gisaient des étoiles,
Se dressait un palais de silence et de deuil.
Les murs, faits de soupirs, portaient mille entrelacs
Où se lisaient les noms des exilés sans cercueil.
Une femme en lambeaux, spectre aux yeux d’ambre pâle,
Tendit vers lui des mains que le temps avait fuies :
« Regarde, fils errant, le prix de notre fable :
L’exil est un poison qui ronge les vies.
Ton père, dont le crime fut d’aimer trop de rêves,
A péri pour un trône qui n’était qu’illusion.
Moi, j’ai mangé ma peine au fond de ces grands rêves,
Et ma chair est devenue ombre et dissolution.
Pars ! Que ta course ardente échappe à nos frontières,
Ne te retourne pas vers nos appels menteurs.
Mais sache qu’en fuyant, tu porteras nos pierres,
Et que l’exil est l’unique miroir du cœur. »
Mais Élias, déjà lié par les fantômes,
Ne pouvait dénouer les nœuds du sort maudit.
Ses pas, lourds de l’absence, écrasaient les royaumes
Où chaque exilé pleure un bonheur interdit.
Les jours tombèrent, grains de cendre dans l’abîme,
Transformant sa jeunesse en automne précoce.
La forêt consumait son souffle et son estime,
Et son visage ardent se fana comme un roseau.
Un soir, quand la clarté lunaire, froide et tendre,
Inonda les taillis d’un mensonge doré,
Il s’allongea, son corps à la terre à rendre,
Et chuchota son nom aux vents désespérés.
La lettre, sur son sein, devint poussière d’astres,
Et la forêt, un instant, retint son souffle amer.
Les ombres, en dansant, tissèrent un doux marbre
Où s’inscrivit l’adieu d’un enfant sans hiver.
Maintenant, si tu t’aventures en ces halliers,
Écoute les soupirs qui rôdent après toi :
C’est Élias qui pleure, exilé premier,
Lié pour l’éternité au chant froid de la Loi.
Car nul ne peut franchir, sans perdre son essence,
Le seuil où les destins se mêlent aux regrets.
L’exil est une plaie qui saigne la présence,
Et la vérité n’est qu’un reflet qu’on regrette.
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