L’Exilé des Cimes
Un homme, spectre pâle aux cheveux de cristal,
Gravisait les dédales d’un royaume immaculé,
Portant pour seul trésor un pinceau délaissé.
Son nom ? Un souvenir que l’azur avait bu ;
Son cœur, un volcan mort sous la cendre des nuits.
Il venait conquérir l’âme des solitudes,
Celle qui fait danser les neiges en latudes,
Mais les cieux implacables, en gardiens sévères,
Aiguisaient sur son front les griffes de l’hiver.
« Ô toi qui prétends saisir ma froide lumière,
Rapporte-moi le sang d’une aube printanière ! »
Murmurait le vent noir à son oreille lasse,
Tandis qu’un loup hurlait au loin, miroir de l’absence.
Ses doigts engourdis serraient une miniature :
Portrait d’une jeunesse à l’encre de l’aurore,
Deux yeux où se noyaient les clartés du passé,
Une bouche promise à jamais au baiser.
« Je reviendrai, disait-il, quand naîtront les bruines,
Te peindre un ciel nouveau peuplé de cavalcades divines. »
Mais l’automne avait fui sept fois depuis ce jour,
Emportant dans son vol l’oubli et les amours.
Un matin, le Destin, ce joueur de dés livides,
Lui jeta dans les bras une enfant au pas timide :
Cheveux d’étoupe, regards de source prisonnière,
Elle offrit en silence un bouquet de lumière –
Fleurs arrachées au vent, pétales de frimas
Qui fondaient en pleurant sur ses paumes de glace.
« Prends, dit-elle, et souviens-toi que toute beauté vraie
Naît du cri déchirant que l’espoir abandonne. »
Il voulut la saisir, mais déjà s’évaporait
Cette fée des mirages que l’aube avait dorée.
Seul resta dans ses bras le bouquet éternel,
Dont chaque fleur était un fragment de son âme.
Alors il entreprit son œuvre démesurée,
Peignant avec son sang, ses larmes, ses années.
Les sapins se penchaient comme un choeur de vieillards,
Les étoiles pleuraient des larmes de vitrail,
Et la montagne, altière en sa robe de marbre,
Couvrait d’un linceul blanc et l’artiste et son marbre.
« Achève ! » rugissaient les gouffres en émoi,
Mais le pinceau tremblait, orphelin de sa foi.
Quand vint le soir final où la mort, chasseresse,
L’enlaça de ses bras chargés de sombres presages,
Il vit dans un éclair la femme au portrait pâle
Effeuillant des lilas sur un quai de gare.
« Pardonne… » voulut-il dire, mais sa bouche gelée
Ne forma plus qu’un mot : « Attendras-tu encore ? »
L’aurore le trouva, statue d’ambre et de givre,
Les yeux fixés au loin sur un chemin qui vibre,
Tandis qu’à ses pieds, roulé par les bourrasques,
Le tableau inachevé pleurait ses couleurs fanes.
On y voyait deux ombres au bord d’un crépuscule,
L’une partant au nord, l’autre au sud qui recule,
Et entre elles, dansant sur la portée du temps,
Une promesse en forme de silence blanc.
Depuis, quand vient l’hiver, par les nuits sans étoiles,
On entend résonner sous les pins qui se coiffent
Un soupir mêlé de couleurs et de sang,
Et l’écho répondre : « Jamais plus. Pour toujours. »
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