L’Ombre et les Décombres
Les murs, squelettes de pierre, pleurent des cendres froides.
Un vent mauvais caresse les débris d’un monde oublié,
Et l’horizon, voilé de brume, étouffe les voix timides.
Une âme erre, fantôme las, parmi les ruines grises,
Traînant son linceul de souvenirs en lambeaux.
Ses pas, échos sans échos, frôlent les herbes grises,
Cherchant en vain le visage enfui sous les arceaux.
« Ô toi qui dormais dans le creux de mes songes fragiles,
Reviens éclairer ces nuits où s’égare mon souffle !
L’aurore a fui nos matins, emportant tes miracles,
Ne laissant que l’amer parfum des roses en souffrance. »
La ville, crypte géante, garde en ses flancs l’absence,
Chaque pierre un tombeau, chaque rue un long sanglot.
L’âme, telle Orphée en deuil, défie le silence,
Appelant d’un nom brisé ce qui ne répond pas.
***
Un soir, quand les corbeaux tissaient des crêpes funèbres,
Un rire argentin glissa entre les colonnes mortes.
L’âme crut voir danser une forme éphémère,
Un reflet de soie blonde au détour d’une porte.
« Es-tu là ? » murmura-t-elle au spectre de lumière,
Suivant d’un cœur fiévreux cette illusion vaine.
La silhouette fuyait, insaisissable et fière,
S’évaporant en brume aux plis de son haleine.
Trois nuits durant, le jeu cruel reprit son cours funeste :
L’apparition dansait sur les toits effondrés,
Ses cheveux dénoués en cascade céleste,
Ses yeux, deux lacs de jade où se noyaient les prés.
« Prends ma main ! » supplia l’âme en tendant ses phalanges,
Mais l’être de clarté fondit comme un cristal.
Seul resta dans les airs un chuchotis étrange :
« Cherche au-delà des murs le miroir ancestral. »
***
L’âme, ivre d’espérance, affronta les décombres,
Franchissant les amas de marbre putréfié.
Ses doigts saignaient aux artes des vestiges sombres,
Mais dans ses veines brûlait un espoir défiant.
Au cœur du palais mort, sous un dôme éventré,
Gisait un miroir noir aux reflets mensongers.
Son cadre, serpent d’or, semblait vivant, sculpté
De runes où dansaient les feux d’un autre hiver.
« Regarde », dit la glace en un soupir de haine,
Et soudain surgirent mille images de jadis :
Deux enfants courant dans les vignes sereines,
Un baiser échangé sous les tilleuls flétris…
Puis vint le jour maudit où la terre trembla,
Où le ciel se fendit en crachant son venin.
Les tours, comme des fous, choir et s’écroulèrent,
Emportant dans leur chute l’être au regard divin.
« Non ! » hurla l’âme errante, étreignant le miroir,
Mais le verre cruel continua son récit :
Elle vit son aimé, prisonnier du désespoir,
L’appelant en vain tandis que tout s’assombrit.
***
« Mensonge ! » cria-t-elle en brisant la surface,
Mais les éclats tranchants lui montrèrent l’affront :
Chaque fragment portait l’image de sa grâce,
Morte depuis des lustres dans l’effroi du grand mont.
Le rire de jadis n’était que vent morose,
Les cheveux d’or promis n’étaient que cendre au loin.
L’âme comprit alors l’ampleur de sa névrose :
Elle avait poursuivi son propre cœur éteint.
Sous la lune qui pleure des larmes de givre,
Elle s’allongea près du miroir assassin.
De ses lèvres monta un dernier chant de ivre :
« L’amour n’est qu’un leurre dans le jardin humain. »
L’aube naissante étira ses doigts pâles,
Caressant le cadavre de l’espoir défait.
La ville, impassible, garde ses annales :
Une âme qui crut voir, un amour imparfait.
Maintenant, quand la brume étreint les ruines,
On entend parfois un sanglot cristallin.
Les pierres murmurent cette romance fine :
L’illusion fut reine où le vrai n’eut pas fin.
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