Le poème ‘Promenade au Lido’ de Casimir Delavigne est une œuvre poignante qui nous plonge dans l’atmosphère mélancolique de Venise. Écrit au 19ᵉ siècle, il évoque le déclin d’une grande cité maritime tout en célébrant son héritage culturel. À travers des images évocatrices et un langage lyrique, Delavigne rend hommage à l’amour et à la souffrance qui ont façonné cette ville historique.
Venise.
ArrÊte, gondolier; que ta barque un moment
Cesse de fendre les lagunes;
Lâessor quâelle a reçu va mourir lentement
Sur les sables noirs de ces dunes.
Gondolier, je reviens : je viens dans un moment
PrÊter lâoreille aux infortunes
De Clorinde et de son amant.
Souvent un ÃĐtranger, qui parcourait ces rives,
Prit plaisir aux accords de vos stances plaintives.
Je veux voir si ces lieux dÃĐserts
Ont gardÃĐ de lui quelque trace;
Car il aima, souffrit, chanta comme le Tasse,
Dont tu viens de chanter les versâĶ
Lido, triste rivage! Ãī mer plus triste encore,
Qui frÃĐmissais dâamour quand tes flots empressÃĐs
Sâentrâouvraient pour lâanneau tombant du Bucentaure;
Des fÊtes de Saint-Marc les beaux jours sont passÃĐs!
Rialto nâentend plus le chant des barcaroles;
Adieu la soie et lâor mollement enlacÃĐs,
Qui tombaient en festons sur le fer des gondoles;
Des fÊtes de Saint-Marc les beaux jours sont passÃĐs!
En vain du marronnier les fleurs et le feuillage
Parent de la Brenta les palais dÃĐlaissÃĐs,
La gloire et les amours nây cherchent plus lâombrage;
Des fÊtes de Saint-Marc les beaux jours sont passÃĐs!
Que de fois dans sa rÊverie,
Sur ce bord dont lâÃĐcho rÃĐpÃĻte encor son nom,
Alors quâil errait sans patrie,
Ces souvenirs de deuil ont poursuivi Byron!
Souvenirs oÃđ son coeur, abreuvÃĐ dâamertume,
Trouvait dans ses ennuis de douloureux appas,
Tandis que le coursier, quâil blanchissait dâÃĐcume,
Faisait jaillir le sable oÃđ sâimprimaient ses pas.
O ciel! la voilà donc cette beautÃĐ si fiÃĻre
Quâadoraient, en tremblant, les peuples asservis,
Le jour quâun empereur, dans ses sacrÃĐs parvis,
Sous les pieds dâun pontife a baisÃĐ la poussiÃĻre!
Des siÃĻcles, pour grandir; pour mourir, des instants!
Tels furent ses destins; sa longue dÃĐcadence
Dâune lutte sans fin nâa point lassÃĐ le temps;
Un peuple a tout perdu sâil perd lâindÃĐpendance.
Câest en vain que Venise a revu ces coursiers
AttelÃĐs si longtemps au char de notre gloire,
Qui sâest enfin rompu sous le poids des lauriers,
UsÃĐ par trente ans de victoire.
Le lion dans les fers en vain menace encor;
Il ne secoÃŧra plus sa criniÃĻre sanglante,
Et ses ailes dâairain ne prendront plus lâessor
Pour suspendre au retour, sous la coupole dâor,
Les drapeaux conquis à LÃĐpante.
Non, Venise nâest plus : ses tranquilles tyrans
Marchent, la tÊte haute, entre les deux gÃĐants
Qui virent de ses chefs le courroux tutÃĐlaire
Frapper les cheveux blancs quâelle avait rÃĐvÃĐrÃĐs,
Quand-la hache des lois, de degrÃĐs en degrÃĐs,
Fit bondir dâun tyran la tÊte octogÃĐnaire.
OÃđ sont donc ses hÃĐros? oÃđ sont-ils?âĶ Sous ta main,
Qui touchÃĐ leurs froides reliques.
OÃđ sont-ils? Cherche-les, au seuil de ces portiques,
Dans lâimmobilitÃĐ dâun simulacre vain,
Dans ces marbres debout sur des tombeaux gothiquesâĶ
Ses hÃĐros aujourdâhui sont de marbre et dâairain.
Que dis-je? de leurs yeux lâÃĐclair encor sâÃĐlance;
Ils respirent encor sur ces murs oÃđ Palma,
OÃđ du lier Tintoret la main les anima.
Le pinceau du Bassan fait parler leur silence.
Vous vivez, LorÃĐdà n, Bembo, Contarini,
Vous vivez sur la toile, oÃđ le croissant puni
Livre ses crias captifs à vos pieux courages.
Vous ne pouvez mourirâĶ les morts sont vos enfants,
Les morts sont les guerriers qui peuplent ces rivages,
Et passent devant vos images
Sans sâaffranchir de leurs tyrans.
PÃĻre de tous les biens, lâamour de la patrie
Fonde seul la grandeur dâun peuple à son berceau;
Il fit rÃĐgner Venise, âet Venise flÃĐtrie,
Le jour quâil expira, dut le suivre au tombeau.
Sa grandeur sâÃĐcoula comme le flot qui roule,
Sans laisser à mes pieds de trace sur ce bord.
Ils dorment, ses vengeurs, comme le flot qui dort
Dans ses canaux dÃĐserts oÃđ le marbre sâÃĐcrouleâĶ
Les Grecs aussi dormaient; ils se sont rÃĐveillÃĐs!
Ils ont levÃĐ leurs bras si longtemps immobiles;
Leurs glaives, si longtemps rouilles,
Brillent du mÊme ÃĐclat quâau jour des Thermopyles.
Fiers, quand ils ont pÃĐri, dâun trÃĐpas glorieux,
Les Grecs, le front levÃĐ, regardent leurs aÃŊeux;
Et tout couverts dâun sang qui lave tant dâinjures,
Quand ils montrent du doigt leurs corps percÃĐs de coups,
LÃĐonidas recule en comptant leurs blessures,
Et ThÃĐmistocle en est jaloux.
La rÃĐpublique est opprimÃĐe;
Et vous aussi, rÃĐveillez-vous,
Guerriers dont la main dÃĐsarmÃĐe
Languit sans force et sans courroux,
Fils de saint Marc, rÃĐveillez-vous;
Quâun peuple devienne une armÃĐe.
Saint Marc! gloire et saint Marc!âĶ A ce cri rÃĐpÃĐtÃĐ
Le lion a rugi, du beffroi qui rÃĐsonne
Lâairain pieux sâest agitÃĐ;
Courez, obÃĐissez au signal quâil vous donne;
Frappez, il vous appelle, il sonne
Les vÊpres de la libertÃĐ!
<< Des armes! >> dites-vous?âĶ vos tyrans ont des armes;
Osez les leur ravir. Forcez vos arsenaux,
Reprenez ces poignards, ces glaives, ces drapeaux,
Que Zara, que Byzance arrosa de ses larmes.
Reprenez-les pour conquÃĐrir
Ces lois, de tout grand-peuple uniques souverainesâ
Reprenez-les pour secourir.
Et pour imiter les HellÃĻnes!
Reprenez-les pour vaincreâĶ et, fÃŧt-ce pour mourir,
Ils seront moins lourds que vos chaÃŪnes.
Vainqueurs, sauvez les Grecs!âĶ Vous manquez de vaisseaux!
Venise traÃŪne encor son linceul en lambeaux;
Comme une voile immense, eh bien! quâil se dÃĐploie
Au faÃŪte de ces tours qui nagent sur les eaux,
A ses flÃĻches de marbre, aux pointes des crÃĐneaux
OÃđ volent ces oiseaux de proie!
Venise avec ses tours et ses palais mouvants,
Ses temples que la mer balance,
Va flotter, va voguer, conduite par les vents,
Aux bords oÃđ pour les Grecs le passÃĐ recommence.
Partez! et puisse-t-elle, aux flots sâabandonnant,
Refleurir prÃĻs dâAthÃĻne à sa splendeur rendue,
Et recouvrer en la donnant
La libertÃĐ quâelle a perdue!
Tais-toi, muse, tais-toi! le sommeil de la mort
PÃĻse encor sur ce peuple et ferme son oreille.
En voulant rÃĐveiller cet esclave qui dort,
Crains pour toi lâoppresseur qui veille.
Dans ces murs, oÃđ souvent un seul mot rÃĐpÃĐtÃĐ
A provoquÃĐ des Dix la rigueur tÃĐnÃĐbreuse,
La tyrannie est ombrageuse,
Comme autrefois la libertÃĐâĶ
Gondolier, je reviens; en fendant les lagunes,
Rends à ton noir esquif son doux balancement,
Et chante-moi les infortunes
De Clorinde et de son amant.
ArrÊte, gondolier; que ta barque un moment
Cesse de fendre les lagunes;
Lâessor quâelle a reçu va mourir lentement
Sur les sables noirs de ces dunes.
Gondolier, je reviens : je viens dans un moment
PrÊter lâoreille aux infortunes
De Clorinde et de son amant.
Souvent un ÃĐtranger, qui parcourait ces rives,
Prit plaisir aux accords de vos stances plaintives.
Je veux voir si ces lieux dÃĐserts
Ont gardÃĐ de lui quelque trace;
Car il aima, souffrit, chanta comme le Tasse,
Dont tu viens de chanter les versâĶ
Lido, triste rivage! Ãī mer plus triste encore,
Qui frÃĐmissais dâamour quand tes flots empressÃĐs
Sâentrâouvraient pour lâanneau tombant du Bucentaure;
Des fÊtes de Saint-Marc les beaux jours sont passÃĐs!
Rialto nâentend plus le chant des barcaroles;
Adieu la soie et lâor mollement enlacÃĐs,
Qui tombaient en festons sur le fer des gondoles;
Des fÊtes de Saint-Marc les beaux jours sont passÃĐs!
En vain du marronnier les fleurs et le feuillage
Parent de la Brenta les palais dÃĐlaissÃĐs,
La gloire et les amours nây cherchent plus lâombrage;
Des fÊtes de Saint-Marc les beaux jours sont passÃĐs!
Que de fois dans sa rÊverie,
Sur ce bord dont lâÃĐcho rÃĐpÃĻte encor son nom,
Alors quâil errait sans patrie,
Ces souvenirs de deuil ont poursuivi Byron!
Souvenirs oÃđ son coeur, abreuvÃĐ dâamertume,
Trouvait dans ses ennuis de douloureux appas,
Tandis que le coursier, quâil blanchissait dâÃĐcume,
Faisait jaillir le sable oÃđ sâimprimaient ses pas.
O ciel! la voilà donc cette beautÃĐ si fiÃĻre
Quâadoraient, en tremblant, les peuples asservis,
Le jour quâun empereur, dans ses sacrÃĐs parvis,
Sous les pieds dâun pontife a baisÃĐ la poussiÃĻre!
Des siÃĻcles, pour grandir; pour mourir, des instants!
Tels furent ses destins; sa longue dÃĐcadence
Dâune lutte sans fin nâa point lassÃĐ le temps;
Un peuple a tout perdu sâil perd lâindÃĐpendance.
Câest en vain que Venise a revu ces coursiers
AttelÃĐs si longtemps au char de notre gloire,
Qui sâest enfin rompu sous le poids des lauriers,
UsÃĐ par trente ans de victoire.
Le lion dans les fers en vain menace encor;
Il ne secoÃŧra plus sa criniÃĻre sanglante,
Et ses ailes dâairain ne prendront plus lâessor
Pour suspendre au retour, sous la coupole dâor,
Les drapeaux conquis à LÃĐpante.
Non, Venise nâest plus : ses tranquilles tyrans
Marchent, la tÊte haute, entre les deux gÃĐants
Qui virent de ses chefs le courroux tutÃĐlaire
Frapper les cheveux blancs quâelle avait rÃĐvÃĐrÃĐs,
Quand-la hache des lois, de degrÃĐs en degrÃĐs,
Fit bondir dâun tyran la tÊte octogÃĐnaire.
OÃđ sont donc ses hÃĐros? oÃđ sont-ils?âĶ Sous ta main,
Qui touchÃĐ leurs froides reliques.
OÃđ sont-ils? Cherche-les, au seuil de ces portiques,
Dans lâimmobilitÃĐ dâun simulacre vain,
Dans ces marbres debout sur des tombeaux gothiquesâĶ
Ses hÃĐros aujourdâhui sont de marbre et dâairain.
Que dis-je? de leurs yeux lâÃĐclair encor sâÃĐlance;
Ils respirent encor sur ces murs oÃđ Palma,
OÃđ du lier Tintoret la main les anima.
Le pinceau du Bassan fait parler leur silence.
Vous vivez, LorÃĐdà n, Bembo, Contarini,
Vous vivez sur la toile, oÃđ le croissant puni
Livre ses crias captifs à vos pieux courages.
Vous ne pouvez mourirâĶ les morts sont vos enfants,
Les morts sont les guerriers qui peuplent ces rivages,
Et passent devant vos images
Sans sâaffranchir de leurs tyrans.
PÃĻre de tous les biens, lâamour de la patrie
Fonde seul la grandeur dâun peuple à son berceau;
Il fit rÃĐgner Venise, âet Venise flÃĐtrie,
Le jour quâil expira, dut le suivre au tombeau.
Sa grandeur sâÃĐcoula comme le flot qui roule,
Sans laisser à mes pieds de trace sur ce bord.
Ils dorment, ses vengeurs, comme le flot qui dort
Dans ses canaux dÃĐserts oÃđ le marbre sâÃĐcrouleâĶ
Les Grecs aussi dormaient; ils se sont rÃĐveillÃĐs!
Ils ont levÃĐ leurs bras si longtemps immobiles;
Leurs glaives, si longtemps rouilles,
Brillent du mÊme ÃĐclat quâau jour des Thermopyles.
Fiers, quand ils ont pÃĐri, dâun trÃĐpas glorieux,
Les Grecs, le front levÃĐ, regardent leurs aÃŊeux;
Et tout couverts dâun sang qui lave tant dâinjures,
Quand ils montrent du doigt leurs corps percÃĐs de coups,
LÃĐonidas recule en comptant leurs blessures,
Et ThÃĐmistocle en est jaloux.
La rÃĐpublique est opprimÃĐe;
Et vous aussi, rÃĐveillez-vous,
Guerriers dont la main dÃĐsarmÃĐe
Languit sans force et sans courroux,
Fils de saint Marc, rÃĐveillez-vous;
Quâun peuple devienne une armÃĐe.
Saint Marc! gloire et saint Marc!âĶ A ce cri rÃĐpÃĐtÃĐ
Le lion a rugi, du beffroi qui rÃĐsonne
Lâairain pieux sâest agitÃĐ;
Courez, obÃĐissez au signal quâil vous donne;
Frappez, il vous appelle, il sonne
Les vÊpres de la libertÃĐ!
<< Des armes! >> dites-vous?âĶ vos tyrans ont des armes;
Osez les leur ravir. Forcez vos arsenaux,
Reprenez ces poignards, ces glaives, ces drapeaux,
Que Zara, que Byzance arrosa de ses larmes.
Reprenez-les pour conquÃĐrir
Ces lois, de tout grand-peuple uniques souverainesâ
Reprenez-les pour secourir.
Et pour imiter les HellÃĻnes!
Reprenez-les pour vaincreâĶ et, fÃŧt-ce pour mourir,
Ils seront moins lourds que vos chaÃŪnes.
Vainqueurs, sauvez les Grecs!âĶ Vous manquez de vaisseaux!
Venise traÃŪne encor son linceul en lambeaux;
Comme une voile immense, eh bien! quâil se dÃĐploie
Au faÃŪte de ces tours qui nagent sur les eaux,
A ses flÃĻches de marbre, aux pointes des crÃĐneaux
OÃđ volent ces oiseaux de proie!
Venise avec ses tours et ses palais mouvants,
Ses temples que la mer balance,
Va flotter, va voguer, conduite par les vents,
Aux bords oÃđ pour les Grecs le passÃĐ recommence.
Partez! et puisse-t-elle, aux flots sâabandonnant,
Refleurir prÃĻs dâAthÃĻne à sa splendeur rendue,
Et recouvrer en la donnant
La libertÃĐ quâelle a perdue!
Tais-toi, muse, tais-toi! le sommeil de la mort
PÃĻse encor sur ce peuple et ferme son oreille.
En voulant rÃĐveiller cet esclave qui dort,
Crains pour toi lâoppresseur qui veille.
Dans ces murs, oÃđ souvent un seul mot rÃĐpÃĐtÃĐ
A provoquÃĐ des Dix la rigueur tÃĐnÃĐbreuse,
La tyrannie est ombrageuse,
Comme autrefois la libertÃĐâĶ
Gondolier, je reviens; en fendant les lagunes,
Rends à ton noir esquif son doux balancement,
Et chante-moi les infortunes
De Clorinde et de son amant.
Ce poème nous pousse à réfléchir sur la fragilité des sociétés et l’importance de se souvenir de nos racines. N’hésitez pas à explorer d’autres œuvres de Casimir Delavigne pour découvrir davantage de sa poésie empreinte de mélancolie et de beauté.