Le Serment des Cimes
Foulait d’un pas meurtri les vertiges des cimes,
Où la bise, filant ses aiguilles de glace,
Ourdissait l’éternel linceul des avalanches.
Son manteau, lourd de givre et de siècles passés,
Craquait comme un remords aux lèvres du silence.
Les étoiles, clous d’or plantés dans l’ombre immense,
Veillaient sur son destin en secret enlacé.
Soudain, au détour d’un ravin qui se déchire,
Une ombre surgit, drapée en lueurs de cristal :
Homme ou spectre ? Ses yeux, deux braises dans l’hiver,
Fixèrent le marcheur égaré sans détour.
« Je suis l’Âme des Roches, gardien de l’abîme,
Toi qui défies l’enfer blanc, que cherches-tu ?
— Je cherche un lieu où l’aube embrase l’horizon,
Où le vent chante encore les noms des absents. »
L’étranger, voix de brume aux syllabes anciennes,
Tendit vers lui des mains rongées par les frimas :
« Suis-moi, si ton cœur bat au rythme des tempêtes,
Je te mènerai là où les soleils sont rois.
Mais gare à ton orgueil : la montagne est traîtresse,
Elle offre un sein de lait pour mieux briser les os.
— Je n’ai plus peur des pièges, ni des pleurs du ciel,
Mon âme est un glaçon qu’aucun feu ne peut fondre. »
Ils partirent. La neige, en volutes funèbres,
Dansait autour d’eux tel un chœur de sœurs en deuil.
Le guide, escaladant les parois invisibles,
Gravaient dans le néant des sentiers éphémères.
Le voyageur, brûlant d’une fièvre obscure,
Sentait croître en son sein un espoir insensé :
Et si cet inconnu, miroir de sa détresse,
Lui révélait enfin le sens de son exil ?
Trois lunes s’effacèrent dans leur course muette.
Un soir, au creux d’un cirque où hurlaient les corbeaux,
L’homme tomba, saignant des lèvres et des rêves.
Le gel mordait sa chair, ricanant sans pitié.
« Relève-toi ! » gronda la voix du vieux prophète,
« Ici, les faibles sont dévorés par les loups.
— Laisse-moi… La mort n’est qu’une amante tardive,
Je lui tends mon bras nu, qu’elle y pose ses dents. »
Mais l’autre, déchirant sa tunique de givre,
Colla sur la blessure un baume de lumière :
« Tu ne périras pas dans l’oubli des névés,
Ton nom doit traverser les âges enflammés.
Vois ! Là-haut, j’ai caché un trésor de légendes,
Un diamant sculpté dans les larmes du temps.
Il brille pour celui qui brave les ténèbres…
— Et que ferais-je, ami, d’un joyau si distant ? »
Pourtant, sous l’alchimie des mots ensorceleurs,
Le moribond se traîna jusqu’aux portes du ciel.
Quand l’aube éventra l’ombre en un cri écarlate,
Ils virent étinceler le diamant maudit :
Il pendait, cœur gelé d’une divinité morte,
Aux serres d’un pic noir balafré par les ans.
« C’est ici, souffla l’homme aux prunelles de braise,
Que finit ton chemin… ou que ton destin naît. »
Soudain, un rire amer fendit l’air comme un glaive :
« Pauvre fou ! Crois-tu donc que je t’ai épargné
Par vertu ? Cette pierre exige un sacrifice :
Ton sang doit l’arroser pour qu’elle m’appartienne.
Merci d’avoir porté jusqu’ici ton supplice…
Maintenant, dors. L’écho gardera ton secret. »
Le voyageur, saisi d’un vertige ultime,
Vit l’ami se muer en démon des sommets.
Il voulut se défendre, invoquer les nuages,
Mais ses forces avaient fui dans les pas du traître.
Le poignard de l’hiver lui transperça les reins,
Tandis que l’autre, ivre de sa victoire obscure,
S’emparait du joyau dont le feu dévorant
Dévêtit la montagne en robe de lumière.
« Pourquoi… ? » murmura-t-il, tombant à genoux.
La neige répondit par un chant sépulcral.
Et l’homme, contemplant sa main vide et flétrie,
Comprit trop tard l’amère ironie du destin :
Ce diamant rêvé n’était que larme fausse,
Miroir de tous les leurres qui hantent les cœurs.
Le traître disparut dans les plis de l’aurore,
Emportant avec lui l’éclat du mensonge.
Le vent, seul confesseur de cet adieu sans gloire,
Ensevelit le corps sous les mots non-dits.
Depuis, quand la tourmente étreint les hautes cimes,
On entend résonner un sanglot cristallin :
C’est l’âme du marcheur, errant sans absolution,
Qui cherche en vain l’étreinte d’un pardon imaginaire.
Et le diamant brille, éternel et cynique,
Comme un œil de cyclope au front de l’univers,
Rappelant aux mortels que les sommets altiers
Ne sont que des tombeaux couronnés de lumière.
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