Écrit par Othon de Grandson, ‘La Complainte de Saint Valentin’ est un poème touchant qui explore les thèmes de l’amour et de la perte. Dans un contexte historique où les histoires d’amour étaient souvent idéalisées, ce poème se démarque par sa sincérité et sa profondeur émotionnelle. L’auteur, connu pour son habileté à capturer les sentiments humains, nous plonge dans un récit où la joie des amoureux contraste avec la tristesse du protagoniste, offrant ainsi une réflexion sur le chagrin et le désir de renouveau.
Je vois que chacun amoureux Se veut ce jour apparier, Je vois chacun être joyeux, Je vois le temps renouveler, Je vois rire, chanter, danser, Mais je me vois seul en tristesse Pour ce que j’ai perdu mon per * Non pas per, mais dame et maîtresse. J’en ai perdu ma contenance, J’en ai perdu toute ma joye, J’en suis déserté de plaisance Trop plus que dire ne pourroie, J’en suis, quelque part que je soye, Trop douloureux outre mesure. J’en suis tel que mourir voudroie Quand je sens ma douleur si dure. Mourir, voire, certainement, Car j’ai perdu ma plaisant vie, Mon espoir, mon avancement, De tous biens ma droite partie. J’ai tant perdu que j’entroublie Tout plaisir et toute liesse, Et toute plaisante compagnie Me tourne à trop grant détresse. Jamais ne ferai que languir Pleurer sera mon réconfort, Quand je pourrai être à loisir Or ne requerrai que la mort. Mon cœur et moi sommes d’accord De vivre ainsi piteusement. Je ne quiers que hâter bien fort La mort pour mon allégement. Pleurez pour moi, je vous prie. Tous cœurs qui aimez loyaulment. Mais assez plus, je vous supplie. Pleurez très douloureusement Ma dame et son très bel corps gent Que la mort a fait definer * Par son dard outrageusement. Que mon cœur maudit sans cesser. Hélas ! il n’était pas saison Si tôt en son département. Ce a bien été contre raison. Mais il n’en peut être autrement. Quand est à moi, tant seulement. C’était tout mon bien en ce monde Que la servir humblement Seule sans nulle autre seconde. Sans plus, cette douce pensée Me tenait en ris et en jeux, Toute joye m’était donnée D’en être bien fort amoureux Je me tenoye plus heureux Cent fois que dire ne pourroye, Quand de ses très doux riants yeux Un doux regard sans plus avoye. Plus me valait l’aimer ainsi En aucune bonne espérance D’en avoir aucun temps merci. Que d’être roi de toute France. C’était la seule souvenance De tous le bien de ma jeunesse. Pour la choisir très mon enfance Prit mon cœur l’amoureuse adresse. Or vois-je que j’ai tout perdu, Et si ne se peut amender, Dont je me vois si éperdu Qu’âme ne le pourrai penser De dire que puisse autre aimer Après celle parfaitement, Mon cœur ne s’y peut accorder A le désirer nullement. Aussi crois-je bien, par ma foi, Qu’âme ne le prendrait en gré, Car mon cœur voudrait, à part soi, Choisir selon le temps passé, Non jamais ne serai aimé De nulle qui approchât celle, Si trop grant débonnaireté Ne se mêlait en la querelle. Ainsi seul et plein de douleur Demourrai ‘, je le vois trop bien. Jamais ni plaisir ni douceur N’approchera à moi de rien. Je serai du simple maintien, Comme tout dolent et honteux. Ja * nulle ne me voudra sien, Par quoi il me soit ja de mieux. Ainsi que je me complaignoye, Je vis saint Valentin venir, Venant à moi la droite voye Ainsi que pour moi réjouir. Et, pour mieux son fait accomplir, Le dieu amoureux amena, Qui par la main me vint saisir Et doucement m’arraisonna, En moi disant : « Beau doux ami, Te veux-tu de tous points défaire ? Tu sais que pieça * te soumis Sous ma puissance débonnaire. Mais celle pour qui ce fait faire Ne te peut plus réconforter. Pour ce te veux à moi actraire ‘ Et te veux bon conseil donner. » « C’est que tu choisisses de nouvel Une dame gente et jolie. Car à ce faire je t’appel ‘, Et saint Valentin t’en déprie. Aussi Loyauté te l’octrie ‘, Car tu as loyaulment servi Jusqu’à fin ta dame et amie, A qui je t’avoye asservi. » Hélas ! Comment se peut-il faire, Ce lui dis-je piteusement, Que nulle autre me puisse plaire pour servir amoureusement ? » Mais Amour, qui si puissament Seigneurit mon cœur en jeunesse, Répond qu’il ne veut nullement Que je demeure sans maîtresse. « Et comment te veux-tu défendre, Dit-il, contre ma volonté ? Ne le fais plus, mais viens t’en rendre, En très grant débonnaireté, A la non pareille beauté Qu’on pût en ce monde veoir *, A qui tu seras présenté. Pour quoi ? Pour l’aimer et servir. » « Hélas ! sire, pardonnez-moi, Et me laissez souffrir ma peine. Je ne quiers qu’être en un recoi ‘ Pour regretter ma souveraine, De qui ma plaisance mondaine M’était venue entièrement, Dont jamais liesse certaine Ne puis avoir aucunement. » « Plus me plaît plaindre et soupirer, Et regretter mon grand dommage, Que veoir rire ni chanter Gens qui sont de joyeux courage. Je ne quiers nulle autre avantage Qu’en ce point attendre la mort, Depuis que la très bonne et sage Je perdis, qu’amoye si fort. » « Et que je veux toujours aimer Aussi bien morte comme vive. Non, je ne la quiers oublier Pour nulle assemblée où j’arrive. Pour ce s’ainsi vers vous estrive *, Je vous prie qu’il ne vous déplaise Si par vous ma douleur m’eschive *, Mais me laissez en ma mésaise. » « Car achoison * ne puis avoir Que de languir en déconfort. Non, je ne puis apercevoir Que ja mon cœur en soit d’accord. Certes ce serait à grant tort Qu’il fût jamais nul jour actain ‘ De plaisir ni joyeux confort, Quand j’ai perdu tout ce que j’aims . » « Au moins souffre que te conseille, Et puis dis ce qu’il te plaira. Viens vers celle dont la merveille Vole toujours et volera Et par tous lieux triomphera Loù J on connaît sa renommée. Ou ta mort t’en abrégera, Ou grâce t’en sera donnée. » « Car en voyant son doux accueil, Son regard de douce simplesse, Il te souviendra du cercueil Qui tient ta première princesse. Ainsi tu connaîtras l’âpresse ‘ Du mal qu’il te convient porter, Ou tu choisiras la richesse De mon service recouvrer. » « Accorde-moi pour mon plaisir Cette requête-ci au moins, Accomplis en ce mon désir, Je t’en prie à jointes mains. Et pour t’en faire plus contraint Te commande d’amour l’affaire Sur la peine d’être retain De ma seigneurie le contraire. » « Sire, je ne sais plus que dire, Soit pour jouir ou pour douloir, Ou pour souffrir mort ou martyre, Je ferai vers vous mon devoir D’aller partout à mon pouvoir Vers celle font faites devis *, Qu’à plein on peut apercevoir De beauté le droit paradis. » Adonc me vint Amour montrer Une dame tant belle et gente Comme on pourrait regarder A y mettre tout s’entente Et lors me dit que je m’assente ‘ A la servir humblement Comme le fieu de droite rente Et que mieux ne puis nullement. Et quand je la vis si très belle, Si jeune et si bien renommée, Et que chacun bonne nouvelle Disait de sa beauté louée, J’entrai en trop forte pensée, Car aucunement ressemblait A la belle qu’avoye aimée, Pour qui mon cœur tant se doulait *. Car tant avait belle manière Et le regard bel et riant, Si jeune et si joyeuse chair, Et tant par était bien duisant * Que chacun était désirant A son pouvoir de bien en dire. Adonc connus tout maintenant Qu’elle faisait bien à élire. Au-devant de toutes les belles Qui sont vivantes à présent, Entre dames et demoiselles, La prisait-on outreement. Sachez de vrai que à tant gent Le corps et la chair * tant lie, Que nul ne la voit vivement, Ce crois-je, qu’Amour ne le lie. A peine l’eussé-je pu croire, C’est la merveille de ce monde, Que nulle autre me put plaire Tant fût dame plaisant ni blonde. Le bien d’elle par tout se ronde ‘, C’est le trésor d’amour mondaine. Si de son bel n’avait que une onde ‘, Si l’en ferait ou souveraine. Adonc ne puis-je contredire D’Amour la très haute puissance. De grant pièce ne peux mot dire. De pâmer fut en grant doubtance. Car Amour par son ordonnance Si me surprit soudainement, Et adonc repris contenance Et m’assurai aucunement. J’en devins aussi amoureux, Comme par grant force contraint, De ses très grands biens gracieux Qui m’ont tout droit au cœur atteint. Et pour ce, sans nul penser feint, La servirai toute ma vie, Priant pour celle dont j’ai plaint Si longuement la départie. Or veuille Amour sa grâce étendre Vers moi par son aide piteuse ‘, Et qu’il lui fasse bien entendre Ma volonté très amoureuse, Qui jamais ne sera joyeuse Si ce n’est par moyen d’elle, Qui sur toutes est très heureuse, Car en croissant se renouvelle. Et lui plaise, par son vouloir, Qu’elle prenne en gré mon service, Et que tant fasse mon devoir Que tous ses désirs accomplisse. De tous ennuis convient que je ysse * Seulement par son réconfort, Par elle faut que je guérisse Ou que je reçoive la mort. Amour l’a ainsi commandé, A qui veut et doit obéir. De très parfaite volonté, Veux tout son vouloir accomplir. Pour ce, sans jamais repentir, Le servirai jusqu’à la fin. Ainsi lui promets sans mentir, Le jour de la Saint Valentin.
Ce poème invite le lecteur à réfléchir sur la nature éphémère de l’amour et à considérer comment le souvenir peut à la fois apporter de la douleur et de la paix. N’hésitez pas à explorer d’autres œuvres d’Othon de Grandson pour découvrir davantage de ses réflexions sur l’amour et la vie.