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Le Guignon D’été
Le Guignon D’été de Rutebeuf est une œuvre emblématique du XIIIe siècle qui s’inscrit dans la tradition médiévale des poètes satiriques. Ce poème, vibrant d’une honnêteté désarmante, aborde les thèmes de la malchance et des aléas de la vie des joueurs. À travers un langage riche et imagé, Rutebeuf nous invite à réfléchir sur l’illusion de la richesse et les désillusions qui en découlent, ce qui en fait une lecture pertinente encore aujourd’hui.
Quand je pense ร ma folle passion qui n’a rien de raffinรฉ ni d’รฉlevรฉ, โ€” bien ordinaire au contraire, et ordinaire celui qui en est la proie โ€” je gรฉmis sept jours sur sept, et j’ai de quoi. Jamais personne n’a connu dรฉtresse pareille ร la mienne tout au long de l’hiver j’ai tant ล“uvrรฉ et tant dans mon ล“uvre me suis occupรฉ que par mon ouvrage je n’ai pu recouvrer de quoi me couvrir. Fol ouvrier, ล“uvre de folie que d’ล“uvrer sans rien recouvrer ! Je suis toujours perdant et le guignon est si habile qu’il dit ร celui qui entre dans son jeu : ยซ Echec ร la dรฉcouverte ! ยป Aprรจs quoi, plus de recours. En juillet, il se croit en fรฉvrier : Quand ses dents claquent, le guignon lui rรฉpond : ยซ Echec ยป. Le plus habile finit par s’habiller d’un sac : voilร oรน conduit le guignon. De Gresce vient si griez eesche ; Or est ja Borgoingne briesche. Tant a venu De la gent qu’ele a retenu. Sont tuit cil de sa route nu Et tuit deschaus ; Et par les froiz et par les chaus. Nรฉs li plus mestres seneschaus N’a robe entiรจre. La griesche est de tel maniรจre Qu’ele veut avoir gent legiere En son servise : Une eure en cote, autre en chemise. Tel gent aime com je devise, Trop het riche homme : S’aus poins le tient, ele l’assomme. En cort terme set bien la somme De son avoir : Plorer li fet son nonsavoir ; Sovent li fet gruel avoir, Oui qu’ait avaine. Tramblรฉ m’en a la mestre vaine. Or vous dirai de lor couvaine : J’en sai assez ; Sovent en ai estรฉ lassez. Mi marz, que li froiz est passez, Notent et chantent ; Li un et li autre se vantent Que, se dui dรฉ ne les enchantent, II avront robe. Espรฉrance les sert de lobe. Et la griesche les desrobe : La borse est vuide. Li geus fet ce que l’en ne cuide : Oui que tisse, chascuns desvuide : C’est de la Grรจce que nous est venu un si dangereux appรขt ; maintenant la Bourgogne est prise au piรจge ร son tour. On ne compte plus ceux qu’il a retenus prisonniers et qui sont sans vรชtements ni chaussures ; et qu’il fasse froid, qu’il fasse chaud, mรชme le plus grand sรฉnรฉchal n’est plus vรชtu de pied en cap. Le guignon est ainsi fait qu’il veut avoir ร son service des gens lestes, tantรดt en tunique, tantรดt en chemise. Voilร quelle sorte de gens il aime, et il ne tolรจre pas le riche : quand aux points il le tient, de ses poings il l’assomme ; il a vite fait de savoir ร combien monte sa fortune : il lui fait regretter sa balourdise ; lui n’aura que du son, si les autres ont de l’avoine. J’en ai tremblรฉ jusqu’au plus profond de moi-mรชme. Je vais maintenant vous raconter la vie des joueurs : je m’y connais pour en avoir souvent souffert. A la mi-mars, quand le froid est passรฉ, ils jouent de la musique et chantent, et chacun d’eux de se vanter que si deux dรฉs ne les ensorcellent, ils auront des vรชtements. Mais l’espรฉrance les trompe, et le guignon les dรฉvalise. vide leur bourse. On ne peut imaginer les ravages du jeu : tout ce que l’on tisse, on le dรฉfait ; Li penssers chiet. Nul bel eschet ne lor eschiet ; N’en pueent mes qu’il lor meschiet. Ainz lor en poise ; Qui qu’ait l’argent, Diex a la noise. Aillors covient lor penssers voise, . Ouar dui tornois, Trois paresis, cinq vienois Ne pueent pas fere un borgois D’un nu despris. Je ne dis pas que jes despris, Ainz di qu’autres conseus est pris De cel argent ; Ne s’en vont pas longues charjant : Por ce que li argens art gent. N’en ont que fere, Ainz entendent a autre afere : Au tavernier font du vin trere, Or entre boule ; Ne boivent pas, chascuns le coule. Tant en entonent par la goule Ne lor sovient Se robe achater lor covient. Riche sont, mes ne sai dont vient Lor grant richece : Chascuns n’a riens quant il se drece; Au paier sont plain de perece ; Or faut la feste. Or remainent chanรงons de geste. Si s’en vont nu comme une beste Quant il s’esmuevent. A l’endemain povre se truevent ; Li dui dรฉ povrement se pruevent. Or faut quaresme. Qui lor a estรฉ dure et pesme : l’espoir s’รฉvanouit. Pour eux ni chance ni bonne aubaine, ils ne peuvent rien contre la malchance, elle les รฉcrase ; oรน qu’aille l’argent, Dieu a droit aux injures. Il faut bien qu’ils s’en prennent ร quelqu’un d’autre car deux tournois, trois parisis et cinq viennois n’ont jamais fait un bourgeois d’un pauvre gueux ! Je ne dis pas que je dรฉdaigne ces piรจces, mais je dis que je fais un autre usage de mon argent, tandis que le leur ne pรจsera pas longtemps dans leurs comme l’argent leur brรปle les doigts, [poches : ils n’ont cure de le garder, et lui rรฉservent une autre destination : ils font tirer du vin ร l’aubergiste, et alors s’installe la dรฉbauche. Ils ne boivent pas, non, ils en lampent de telles quantitรฉs ร plein gosier qu’ils oublient qu’ils ont besoin d’un costume. Ils sont riches, mais je ne sais d’oรน vient cette grande richesse : ils n’ont plus rien quand ils reviennent ร eux ; ils ne sont pas pressรฉs de payer. Maintenant finie la fรชte, fini le rรชve d’exploits hรฉroรฏques. Ils s’en vont nus comme des vers quand ils quittent l’auberge. Le lendemain, les voilร sur la paille ; ‘a paire de dรฉs poursuit ses ravages. Maintenant fini le carรชme, qui ne leur a pas รฉpargnรฉ ses terribles rigueurs : De poisson autant com de cresme I ont eu ; Tout ont jouรฉ, tout ont beu ; Li uns a l’autre deceii, Dist Rustebuรฉs Por lor tabar, qui n’est pas nues. Qui toz est venduz en deus oรฉs ; Et avril entre, Et il n’ont riens defors le ventre. Lors sont il viste et prunte et entre S’il ont que mรจtre ; Lors les verriiez entremetre De dez prendre et de dez jus mรจtre : Ez vous la joie ! N’i a si nu qui ne s’esjoie ; Plus sont seignor que ras sus moie ni Tout cel estรฉ. Trop ont en grant froidure estรฉ ; Or lor a Diex un tens preste รฎu Ou il fet chaut. Et d’autre chose ne lor chaut : Tuit ont apris aler deschaut. ils ont eu autant de poisson que de crรจme. Ils ont tout jouรฉ, ils ont tout bu ; l’un a trompรฉ l’autre, Rutebeuf le dit ร cause de leur manteau bien usรฉ qu’ils ont cรฉdรฉ pour presque rien. Quand revient avril, ils n’ont plus que la peau. Mais s’ils ont de quoi miser, alors ils se pressent, se hรขtent, se prรฉcipitent ; alors vous les verriez s’affairer ร prendre les dรฉs et ร les jeter. A vous le plaisir ! Les plus pauvres se rรฉjouissent ; ils sont plus ร leur aise que des rats sur une meule de blรฉ tant que dure l’รฉtรฉ. Mais ils ont beaucoup souffert du froid ; Dieu leur offre maintenant la belle saison pour les rรฉchauffer. Ils se moquent du reste, tous ont appris ร aller nu-pieds.
À travers ‘Le Guignon D’été’, Rutebeuf nous offre une occasion de méditer sur notre propre rapport à la fortune et aux jeux de la vie. Explorez d’autres œuvres de cet auteur fascinant pour enrichir votre compréhension de la poésie médiévale et de ses thèmes intemporels.