L’Éternel Écho des Ruines
Un village dort sous les cendres du souvenir,
Ses murs éventrés, fantômes de pierre,
Gardent l’âpre odeur des larmes à venir.
Une ombre y chemine, fluide et sans visage,
Spectre condamné à hanter les ruines,
Cherchant dans le vent un fragile mirage,
L’écho d’un rire enfui sous les glycines.
Ses doigts diaphanes effleurent les portes,
Ouvrent les ténèbres des greniers muets,
Et dans un coffret rouillé qu’elle emporte,
Gît un pli jauni, scellé de secrets.
*« Ô toi qui découvriras ces mots sans voix,
Ne plains pas l’encre où ma douleur se fige :
L’amour fut mon glaive et mon crucifix,
Un feu sans brasier où brûlaient nos lois.
Je t’écris du seuil où le destin nous sépare,
Toi, l’astre voilé de mes nuits sans repos,
Moi, l’humble senteur que le gel dépare,
L’églantine offerte aux dents des tombeaux.
Rappelle-toi l’aube où les cloches muettes
Chantaient l’adieu des routes divergentes,
Nos mains enlacées, deux feuilles inquiètes,
Ballottées au gré des bises mentales.
Tu promis l’attente, je promis le courage,
Mais les ans ont bu nos serments fragiles,
Et le crépuscule, ce lent héritage,
A tissé l’oubli sur nos cœurs dociles. »*
L’âme lit et tremble ; en elle renaissent
Des songes éteints sous la cendre des heures,
Les pas d’un amour que les murs connaissent,
L’ombre d’un baiser que le vent effleure.
Elle court, éperdue, aux lisières du rêve,
Où jadis brillait un jardin fané,
Mais les rosiers morts, squelettes de grève,
N’exhalent plus rien de l’été terni.
Soudain, dans la brume où se meurt l’espace,
Une forme émerge – est-ce lui ? Est-ce elle ? –
Deux regards se croisent, un monde s’efface,
Mais la chair n’est plus qu’une âpre étincelle.
*« Reconnais-tu l’âme où brûlait ton nom ?
Vois comme le temps nous a dévorés…
Nos corps ne sont plus que poussière au front,
Seuls nos regrets ont traversé les années. »*
Ils tentent en vain d’unir leurs souffles pâles,
Mais l’infranchissable étreint leurs contours :
L’amour interdit aux vivants les rafales,
Aux morts il impose d’éternels détours.
Le village entier gémit sous la lune,
Témoin silencieux de leur double deuil,
Tandis que la lettre, ultime lacune,
Se déchire aux crocs de la nuit en deuil.
Et l’âme s’effrite, atome de tristesse,
Dissoute dans l’aube aux doigts de cristal,
Emportant avec elle la tendre promesse
Qu’un jour, quelque part, fuse un printemps natal.
Il ne reste plus qu’un parchemin vide,
Où dansent les mots d’un impossible adieu,
Et le vent qui râle, funèbre guide,
Sur les murs croulants où s’inscrit : « J’aimais… »