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L’Éternité d’une Vague
Élias, pinceau las, fixait l’horizon livide.
La mer, bête altérée, mordait les rocs inquiets,
Et dans son cœur vidé grondait un vent aride.
Léonie, son épouse, ombre au seuil du néant,
Déjà fuyait ses draps comme un soleil pâli.
Ses yeux, deux lampes d’ambre éteintes par le temps,
Cherchaient en vain le jour sous les plis de l’oubli.
« Je vais peindre l’instant où le flot se suspend »,
Murmura-t-il, menteur, à l’épouse diaphane.
Mais les toiles criaient l’échec d’un art impuissant,
Spectres de couleurs mortes sous leur vernis profane.
La nuit vint, écrasant les astres sous son poing.
Un rêve lui parla : « Va cueillir l’âpre écume,
Offre au gouffre ton sang, ton souffle et ton témoignage —
La vague t’apprendra le prix de tout prodige. »
À l’aube, il courut, âme nue en proie au ressac,
Grava dans les galets un pacte avec l’abîme :
« Prends ce qui reste en moi de feu créateur, ô lac
Amer ! Mais qu’à Léonie échoue un sursis sublime. »
L’océan rit, montrant ses crocs de sel et d’or,
Souleva le peintre ainsi qu’une feuille morte,
Et dans un baiser froid où palpitait la mort,
Lui vola son regard, sa main, sa voix qui porte.
De retour, Élias sentit l’art le brûler
Comme un vin trop vieux fermente en coupe impure.
Il peignit sans dormir, sans manger, sans parler,
Figeant sur la toile une mer hors de mesure :
Vagues en collier de perles folles,
Ciels déchirés où saignaient des aurores,
Écumes dansant la sarabande molle
D’un temps qui consent à se suspendre encore.
Léonie, un matin, se leva sans faiblir,
Ses joues buvant les roses volées à l’automne.
Ils crurent défier les sabliers du destin,
Ignorant que la mer tient ce qu’elle s’octroie.
Mais un soir, tandis qu’Élias, ivre de grâce,
Célébrait l’océan en d’ultimes fresques,
Léonie vit son corps lentement se dissoudre
En brumes que la plage avala sans un son.
Il courut, emportant ses toiles en otages,
Hurlant aux vagues : « Rendez-moi ce qui fut mien ! »
La mer lui répondit par un rire sauvage,
Jetant à ses pieds l’écume et rien de plus.
Depuis, on dit qu’il erre aux creux des marées basses,
Peignant sans fin l’instant où tout peut renaître,
Tandis que dans les flots, une ombre le harasse —
Celle d’un amour parti nourrir les algues.
Le temps, ce vieux pirate à la rame infatigable,
A fait de leur histoire un naufrage obscur.
Seule subsiste, au bout d’un quai de sable,
Une toile mangée par le sel et l’azur.
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