L’Éternel Automne de l’Âme Brisée
Une femme s’avance, spectre aux pas égarés,
Son manteau frôle la bruyère et les soupirs
Que la terre exhale en ses pleurs démesurés.
Les arbres, gardiens noirs des deuils inavoués,
Penchent leurs fronts moussus sur son destin fragile ;
Leurs branches enchevêtrent les temps révolus,
Tissant un linceul d’heure et de jours perclus.
« Ô chênes, murmure-t-elle à la brume hostile,
Portez vers lui les mots qu’étouffe mon exil :
Dites qu’en ces forêts où s’érigent les nuits,
Je cherche l’antre obscur où gît notre passé… »
Mais les feuilles en chœur, d’une voix de sépulcre,
Lui répondent : « Ton vœu n’a plus de lendemain.
Le temps, ce faucheur lent aux doigts d’asphodèle,
A scellé ton amour dans l’ambre du chagrin. »
Pourtant, elle poursuit, foulant les cryptes vertes
Où gisent les échos des rires ensevelis ;
Ses mains tremblent, agrippant les roses offertes
Par un matin lointain, sous les cieux embellis.
Soudain, au détour d’une allée en lacis,
Un lac spectral déploie son miroir de brume :
Là, dans les eaux sans fond où nagent les regrets,
Se reflète un visage absent de tout portrait.
« Toi que j’aimais plus que les astres nocturnes,
Entends ma voix franchir l’abîme des années !
Prends ce sang, prends ces pleurs, prends mes heures nocturnes,
Mais rends-lui les couleurs à son front condamné ! »
Le lac, d’un clapotis funèbre et gourmand,
Engloutit ses cheveux, ses larmes, ses prières ;
En échange, il consent à suspendre un instant
La course du trépas sur les lèvres du frère.
Trois lunes ont passé. La femme, osier flétri,
S’agenouille au rivage où s’éteint son haleine :
« Voici mon dernier souffle, ô gouffre attendri,
Épargne son automne… Offre-lui ton haleine. »
Le pacte s’accomplit. Sa chair devient feuillage,
Ses yeux, deux glands d’argent roulant vers l’oubli noir ;
Le vent disperse aux quatre coins du paysage
L’écho d’un « Je t’aimais » qui se change en espoir.
L’aimé, guéri, revient aux sentiers familiers,
Cherchant en vain les doigts qui fleurissaient ses plaies.
Il ne trouve qu’un chêne aux rameaux singuliers,
Dont les feuilles en chute épellent son supplice :
« Passant, si ton cœur bat au rythme de ma sève,
Sache qu’en chaque automne où rougit l’horizon,
Je suis l’amour changé en terrestre fantasme,
L’éternité payée au prix de ma saison. »
Depuis, quand vient octobre et son linceul de rouille,
On entend sous l’écorce un sanglot cristallin :
C’est la forêt qui pleure une âme en déroute,
Et le temps, impassible, étire son déclin.