Le Chevalier Éphémère et le Jardin des Larmes Célestes
Errait en quête d’un repos sans lendemain,
Son armure rouillée chantait les terres
Où le sang séché fleurissait en chagrin.
Un crépuscule d’or guida ses pas moroses
Vers un mur de lierre où dormait une porte,
Fer forgé mangé de mousse et de roses,
Verrouillé par les siècles, gardien d’une morte.
Il poussa le vantail d’un geste incertain —
Le grincement fut un soupir de l’âme.
Un jardin secret, né des pleurs du matin,
Déploya soudain ses velours et ses flammes :
Allées de jasmin où dansent les abeilles,
Bassins peuplés de cygnes aux cous de narcisse,
Arbrisseaux tressant leurs branches en corbeilles
Pour offrir aux vents des fruits de délice.
Et au cœur de ce rêve, une femme apparut,
Vêtue du tissu fragile des aurores,
Ses cheveux, ruisseaux d’ébène absolu,
Couvraient ses épaules en manteaux sonores.
« Je suis l’Éternelle Gardienne des Sources,
Dit-elle, mon sang est l’encre des saisons.
Ce jardin respire par mes seules ressources…
Approche, guerrier, sans crainte ni raisons. »
Le chevalier tomba comme on tombe en prière,
Ébloui par cette voix de soie et de miel.
« Quel nom porterais-tu, fantôme printanière ?
— Appelle-mé Clémence, ou l’ombre du ciel.
Depuis que les astres ont tissé ma naissance,
J’attends celui qui franchirait ce seuil.
Ton âme porte en elle une vieille semence…
Viens, je vais t’apprendre à boire l’accueil. »
Elle prit sa main lourde de vieux combats,
Et sous les cerisiers en robes de mariées,
L’acier du guerrier se changea en appats
Pour les colibris aux ailes éployées.
« Regarde, dit-elle, ces pétales qui tombent :
Chacun est un mot que le temps n’a pas dit.
Ici, les chagrins se dissolvent en trombes
De parfums où s’abreuve l’infini petit. »
Les jours s’écoulèrent en douces méandres,
Le chevalier oublia épées et tambours.
Il apprit par cœur les reflets des salamandres,
Les noms des rosiers, le chant des tambours.
Clémence, fée aux paupières de bruine,
Lui offrit des nuits de silence et de vin,
Et sur sa peau pâle, cicatrices et ruines
Devinrent vallons où germait le divin.
Un soir pourtant, comme ils lisaient les étoiles
Sur le livre ouvert du bassin miroitant,
Un frisson glissa dans l’air tiède de moires :
« L’heure approche, ami… Sais-tu ce que j’attends ?
Ce jardin n’est qu’un sanglot de la terre,
Mon corps n’est qu’un prêt fait par les saisons.
Tu as bu mes fontaines — il faut maintenant,
Cher étranger, que tu cueilles le poison. »
Le chevalier, les yeux noyés de pétales,
Crut entendre un rire ancien dans les buis.
« Parle sans détours, ô toi si fatale !
— Ce jardin vit parce que je suis nuit et jour
Liée à ses racines. Ma vie est son essence.
Mais quand un amour y pénètre… il faut choisir :
Ou fuir avant que ne s’achève la danse,
Ou rester, et voir l’œuvre entière mourir. »
Il la serra contre son cœur de fer rouillé,
« Jamais je ne fuirai ce paradis fragile !
— Alors prépare-toi, soldat écorché,
À voir s’effeuiller notre double exil… »
L’aube qui suivit naquit couleur de cendre,
Les lys courbèrent leurs fronts sur les étangs.
Clémence marchait, spectrale, à rendre
Au sol chaque pas comme un testament.
« Écoute, dit-elle en touchant une rose,
Chaque fleur est une larme que j’ai pleurée.
Mon premier soupir fut une apothéose,
Mon dernier sera… une graine égarée. »
Soudain le vent tourna, chargé de venin,
Les arbres grincèrent comme des squelettes.
« C’est lui, chuchota-t-elle, le jardin
Sent que mon cœur balance… Ô tourment ! »
Le chevalier tira son glaive — inutile !
Les murs croulaient en pluie de poussière.
« Non, cria Clémence, épargne ce futile !
Ma mort est la clé de notre dernière prière. »
Elle colla ses lèvres sur sa bouche armée,
Et dans ce baiser où tremblait l’univers,
Son corps transparent devint fumée,
Emportant avec lui ronces et hivers.
Le chevalier tomba, vidé de ses fièvres,
Tandis que le jardin, fissuré de regrets,
S’effondrait en cendre au bord de ses lèvres,
Lui laissant aux mains l’odeur des cyprès.
Quand la lune se leva sur les décombres,
L’homme égaré chercha en vain des traces :
Plus de roses, de chants, ni de décombres —
Seul un églantier rongeait les terrasses.
Il y suspendit son heaume et son glaive,
Puis partit, courbé sous le poids du réel,
Portant au côté, comme une relique brève,
Une épine noire enfoncée dans sa chair.
Maintenant, dit-on, quand la lune est tendre,
Un fantôme erre près des murs en ruine,
Murmurant des vers que nul ne peut entendre,
Caressant les pierres d’une main devine.
Et si par malheur vous trouvez la porte
Ouvrant sur un champ de ronces et de vent,
Fuyez — car l’amour qui là-bas se porte
Est un deuil sans fin… doux et dévorant.
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