L’Éternel Soupir des Vagues
Une âme sans visage épouse amèrement
Le roulis éternel des marées qui fument,
Spectre lié au sanglot noir des éléments.
La mer, cathédrale de sel et de colère,
Dresse ses murs mouvants jusqu’au ciel ulcéré,
Ses cloches sont les cris des goélands vulnéraires
Qui se brisent aux rocs d’un destin altéré.
Depuis mille hivers que ses pas sans semelles
Foulent l’onde en démence et son miroir trompeur,
Elle cherche un soupir captif des cascatelles,
Un nom que les coraux ont mangé dans son cœur.
Ses mains, translucides sous la lune malade,
Plongent dans les remous où gisent des soleils,
Ramasseant des débris de porcelaine et d’ambre,
Miettes d’un festin vieux de centaines de réveils.
Un soir où l’ouragan mordait les voiles basses,
Quand les étoiles même avaient peur de choir,
Elle vit se lever, tel un remords qui passe,
La proue fantômale d’un vaisseau de mémoire.
À son bord, un homme au regard de lagune,
Dont les traits oubliés firent trembler les flots :
C’était son propre cœur en habit de fortune,
Fantôme parmi ceux qu’on nomme les sanglots.
« Ô toi qui dans mes yeux lis l’encre des tempêtes,
Reconnais-tu ces mots que j’écrivis sur l’eau ?
L’océan fut le livre où nos deux ombres faites
Ont laissé s’effacer l’alphabet de nos os. »
L’âme tendit sa voix, mélopée fracturée :
« Je suis ce qui persiste et ce qui n’a pas fui,
Le reflet condamné d’une rose fanée
Qui hante le parfum des nuits où plus ne luit.
Pourquoi ton souvenir, navire aux voiles tristes,
Vient-il troubler ma peine en ce crépuscule amer ?
— Regarde au fond des eaux où les algues s’enlacent,
Là dort un secret lourd que tu portas en mer. »
Plongeant vers les ténèbres aux langueurs de sirènes,
Elle vit sous les sables, parmi les os blanchis,
Un coffre de coral scellé par des chaînes
Où dansait un collier de larmes et de cris.
L’écrin, lorsqu’elle l’ouvrit d’un geste funèbre,
Exhala des parfums de jasmin et d’adieu :
C’était l’amour perdu, la lettre jamais lue,
Le serment murmuré que le temps fit en feu.
« À l’heure où tu partis combattre les nuages,
Je gardai sur ma peau l’empreinte de tes doigts.
Mais les saisons menteurs, ces voleurs de visages,
Ont changé nos matins en automne sans moi.
Je t’attendis au port où les barques s’enfuient,
Jusqu’à ce que mes yeux ne soient plus que du vent.
Tu reviens conquérir des ombres qui s’ennuient,
Mais notre heure est passée à jamais, Éolien. »
L’âme hurla son nom que les vagues étouffent,
Saisissant le collier tiède d’anciens soleils.
Mais chaque perle était une minute qui souffre,
Chaque larme, un fragment de ce qu’on ne veut voir.
Le vaisseau s’éloignait, voilures en lambeaux,
Tandis que se refermait la blessure des mers.
Elle resta, serrant contre ses flancs de flambeau
Ce secret découvert trop tard dans l’univers.
Depuis, quand vient la nuit qui sent le sel et l’ambre,
On entend sous les flots une plainte de chair :
C’est l’éternel soupir de deux âmes en cendre
Qui crurent le présent plus fort que l’océan.
Le temps, ce vieux pirate à la rame inflexible,
Rit dans les profondeurs où tout espoir se tait.
Et les vagues toujours recommencent leur bible
De tempêtes, de deuils et de rendez-vous ratés.
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