L’Orphelin et l’Abîme des Vérités Perdues
Un enfant aux yeux pâles, nourri par les tempêtes,
Cherchait dans les débris des naufrages morts
La clé d’un mystère échoué sur sa crête.
Son nom, Élias, né de l’écume et du vent,
Grandit parmi les rocs que la foudre marqua,
Sous l’aile d’un vieillard dont le souffle savant
Lui contait les secrets que la nuit dissimula.
« Vois-tu, disait l’aïeul, ces étoiles lointaines ?
Elles gardent l’écho des mensonges anciens.
La vérité, mon sang, est un fruit qui se traîne
Sur les branches d’un arbre oublié des gardiens. »
Mais l’enfant, assoiffé d’un savoir interdit,
Franchit un jour le seuil des grottes interdites,
Où gisaient des parchemins par le temps engloutis,
Révélant l’origine enfouie à son site.
« Je ne suis pas de ceux que la vague abandonne !
Ma naissance est liée à des rivages perdus !
Ces lettres, vieux témoins d’une couronne,
Parlent d’un sang royal par les flots confondu ! »
Le vieillard, pâlissant sous ses cheveux d’argent,
Serra contre son cœur l’enfant épris d’orage :
« Ce savoir est un feu qui consume le sang,
Laisse mourir les mots écrits sur ce rivage. »
Mais Élias, déjà, dévoré par l’essor,
Voulut voguer vers l’est où s’ouvraient les abîmes.
« Je reviendrai, je jure, avec l’aube et l’essor,
Déchiffrer le silence et son crime sublime. »
La barque fut bâtie avec des mâts de chêne,
Des voiles tissées dans les linceuls des hivers,
Et l’aïeul, murmurant un chant funeste à peine,
Y grava de ses mains les noms des univers.
« Prends ce miroir terni par les pleurs des ancêtres,
Il reflète l’envers des masques érodés.
Mais si tu brises son verre, ô mon dernier peut-être,
Les démons de la mer danseront tes idées. »
Le départ fut un cri que la brume étouffa,
L’horizon avalant la silhouette fragile,
Tandis que sur la grève où le destin triompha,
Le vieux sage, debout, fixait l’ombre inutile.
Les lunes défilèrent, rongeant l’espoir tenace,
L’île, veuve de rires, pleura ses horizons.
Le vent porta des mots de royaumes de glace,
De combats contre d’invisibles trahisons.
Un soir, la mer cracha l’embarcation vide,
Les planches éventrées par les crocs des récifs,
Et dans l’écume amère où le destin se vide,
Flottait un manuscrit aux paragraphes brefs.
« J’ai vu, griffonnait l’encre pâlie de crainte,
Des cités sans visage où règne le miroir,
Où chaque vérité n’est qu’une ombre contrainte,
Et le cœur des humains se déchire au vouloir.
J’ai rencontré la Reine aux prunelles d’absinthe,
Son trône était bâti sur les os des chercheurs.
Elle m’a dit : “Ton sang est un filtre, un encreinte,
Mais ton île n’est plus qu’un rêve en plein cœur.”
J’ai fui, poursuivi par les spectres du savoir,
Le miroir s’est brisé dans mes mains éperdues…
Grand-père, si tu m’entends, viens me désensabler,
La vérité est un piège où nos âmes sont nues. »
Le vieillard, étreignant ces mots nés du chaos,
Partit sur les flots noirs qu’il maudit maintes lunes,
Traversant les périls et les brumes sans repos,
Guidé par les appels d’un enfant en lacunes.
Il trouva Élias loin des terres connues,
Sur un îlot de sel que le soleil calcine,
Les mains rouges de efforts, le regard dans les nues,
Creusant un trou sans fin comme une ultime mine.
« Arrête ! cria l’aïeul, la vérité mensonge !
Elle offre un feu qui brûle et ne réchauffe pas !
Viens retrouver l’odeur des figuiers et des songes,
L’île nous attendrit dans ses maternels bras. »
Mais l’orphelin, hagard, sourd à la raison tendre,
Montra le puits béant où gisaient des reflets :
« J’ai vu, sous chaque strate, un monde à comprendre,
Et sous la dernière… rien… que nos secrets.
La Reine avait raison : le savoir est un leurre,
Un vide qui se pare de couleurs de désir.
Je voulais conquérir, j’ai découvert le leurre,
Et mon âme s’est perdue en ce non-choisir. »
Il tomba, foudroyé par l’aveu de sa quête,
Le vieux l’emporta, tel un rameau fané,
Vers l’île où la mer, telle une mère inquiète,
Chantait pour les absents un hymne résigné.
Mais au seuil de la grève où jadis tout commence,
Le cœur du vieux faiblit, pris d’un ultime effroi :
L’enfant, dans un soupir, perdit son innocence,
Et l’aïeul expira, privé de son émoi.
On dit que chaque nuit, quand la lune est captive,
Un fantôme érudit erre sur les récifs,
Cherchant parmi les os que la marée lessive
Le nom qui guérira son destin maladif.
L’île, depuis, se tait, serrant dans ses entrailles
Le poids de deux destins que le savoir brisa,
Et la mer, éternelle, aux vêtements de faille,
Roule son chant funèbre où tout espoir gît là.
« `