Le Dernier Éclat du Pinceau Perdu
Où l’hiver éternel scelle les cieux arides,
Un homme, frêle esquif sur la neige qui mord,
Grave au flanc du glacier son silencieux sort.
Peintre épris d’absolu, cherchant l’écho du beau,
Il brave les assauts du vent tumultueux,
Ses doigts engourdis serrant un vieux carton bleu,
Où dort une toile vierge, espoir d’un nouveau flambeau.
« Ô sommets couronnés de brume et de mystère,
Donnez-moi la clarté qui nourrit les éthers,
Ce blanc immaculé où dansent les lumière,
L’âpre douceur des cieux en deuil de leurs chimères ! »
Mais le pic sourdement, sous son linceul changeant,
Gardait l’éclat captif en son cœur exigeant,
Tandis qu’au loin, au creux d’un val tendre et fané,
Une femme veillait, l’âme d’un serment liée.
« Reviens quand la bruyère aura quitté son deuil,
Avant que le givre altère l’éclat des étoiles »,
Avait-il murmuré, pressant sa douce main.
Elle, croyant au chant des adieux incertains,
Comptait les jours naissants sous les frimas hostiles,
Ignorant que l’hiver roulerait ses cent mille îles,
Et que l’homme, ébloui par un rêve surhumain,
Oublierait l’aurore au seuil de son domaine.
Les nuits tombaient, pareilles à des lames de plomb,
Sur la cabane où l’artiste, en proie aux démons,
Voyait mourir ses traits sous les pleurs du charbon.
L’inspiration, hélas ! semblait un horizon
Fuyant toujours plus loin dans la brume stérile.
« Un signe, ô ciel ! Un seul ! Que mon pinceau fragile
Saisisse enfin l’éclair qui déchire les monts,
Et je braverai l’ombre et ses noirs aquilons ! »
Un matin, l’aube tendre effleura les abîmes :
Une lueur dansait sur les glaciers sublimes,
Mêlant l’or pâlissant à l’argent des torrents.
« C’est toi ! » s’écria-t-il, vibrant d’un feu sacré,
Et, saisissant son âme en guise de palette,
Il courut enlacer la lumière parfaite,
Oubliant que la neige, en ses replis mouvants,
Rongeait le sentier sûr comme un amant fervent.
Trois jours, trois nuits durant, sous la voute polie,
Il lutta contre l’onde, il épousa la vie,
Fixant sur sa toile un mirage éclatant :
L’étreinte du soleil et du gel triomphant.
Mais le quatrième soir, quand l’ombre se fit reine,
Un grondement sourd ébranla la plaine,
Et l’avalanche, ouvrant ses ailes de malheur,
Engouffra l’homme et l’œuvre en un linceul de peur.
Sous la couche sans fond où gît l’espoir trahi,
Il sentit lentement s’éteindre son génie,
Tandis qu’apparaissait, plus vive que le jour,
La femme aux yeux d’automne, attendue sans retour.
« Pardonne… », murmura-t-il, dans un souffle glacé,
Et sa main dessina, dans un spasme forcé,
Une tache pourpre – ultime et vaine caresse –
Sur le cœur blanc de celle qui fut sa promesse.
Là-haut, le vent moqueur dispersa les pigments,
Fleurs mortes d’un bouquet offert au néant,
Tandis qu’au val lointain, près d’un foyer éteint,
Une ombre écoutait choir les heures sans destin.
Et chaque nuit, lorsque la lune erre, pensive,
Sur les pics où la neige en secret se lamente,
On dit qu’un spectre peint, de ses doigts transparents,
Un retour impossible aux printemps disparus…
Le temps a dévoré le nom du solitaire,
Mais la montagne garde, en son livre de pierre,
L’histoire de celui qui, pour un songe altier,
Aima trop les reflets de l’éternel métal.
Et dans les soirs d’hiver, quand gronde la tourmente,
Écoutez… Au-delà des sanglots du vent,
Monte un cri étouffé – ultime testament –
Où l’art et l’amour pleurent leur enfantement.