La Dernière Note de la Cathédrale
Le vent mordait les pierres lépreuses,
Et l’hiver, tel un loup aux dents de givre,
Avait saisi la nef silencieuse
Où l’ombre éteignait les soupirs du livre.
Un homme errait, son violon noué
Contre sa chair comme un enfant malade,
Traînant ses pas dans ce désert froissé
Où Dieu lui-même avait posé son masque.
Il était né du chaos des batailles,
Son âme usée aux fourgons de la guerre,
Portant en lui ces éclats de mitraille
Qui dansent encore au fond des terres.
Son instrument, témoin des cieux brûlés,
Chantait parfois pour les morts sans visage,
Et chaque note, en l’air désassemblé,
S’accrochait aux vitraux comme un présage.
Un soir de cendre, il vit une silhouette
Glisser entre les piliers endormis,
Vêtue de gris, courbée mais discrète,
Femme-oraison au cœur de l’infini.
Ses yeux semblaient deux sources taries,
Où le chagrin avait creusé son lit,
Et sur ses mains, pâles et meurtries,
Dansaient les reflets d’un passé interdit.
Elle venait chaque aube, sans prière,
Déposer un lys sur un tombeau nu,
Celui d’un nom que la guerre altière
Avait rayé d’un geste ingrat et nu.
Le musicien, tel un spectre fidèle,
Observait cette offrande sans éclat,
Et dans son violon, une ritournelle
Naissait, fragile, entre le jour et l’absolu.
Un matin, las de l’éternel silence,
Il effleura les cordes de son âme :
Un chant monta, si pur qu’il fit vaciller
Les anges de plâtre aux voûtes pâlies.
La femme, alors, tourna son front fragile,
Et dans ses yeux trembla l’écho d’un monde
Où l’amour peut fleurir sur un asile,
Mais le destin veille, sournois et immonde.
Ils n’échangèrent que des regards-chuchotis,
Des sourires furtifs, gorgés de peur,
Tandis qu’au-dehors, les canons grondissaient,
Rappel brutal que la mort est chasseur.
Elle lui offrit une rose séchée,
Gardienne d’un été enseveli,
Et lui, pour elle, joua sans trêve
La mélodie d’un adieu incompris.
Les jours filaient, tissant leur toile obscure,
Chaque note liant leurs cœurs éperdus,
Mais la guerre, pareille à une encre dure,
Rongeait l’encre pâle de leurs vœux déçus.
Un soir, tandis qu’il répétait son thrène,
Des pas brutaux percèrent le sacré :
Des soldats, lourds de haine et de harnais,
Envahirent la nef, le regard verrouillé.
« Toi, le rôdeur, suiveur de funérailles,
Notre canon réclame tes deux mains !
La guerre a soif de chair à entrailles,
Et ton violon pleurera nos chagrins. »
Il résista, serrant son bois fidèle,
Mais un coup partit, sec comme l’enfer,
Et la musique, en éclats de cervelle,
Rougit les dalles du chant triomphal.
La femme, cachée derrière un pilier,
Vit son corps choir, léger comme une plume,
Et dans sa bouche, un cri sans lumière
Se brisa net, étouffé par la brume.
Elle ramassa le violon fracassé,
Colle de sang et de souvenirs vagues,
Et posa sur ses lèvres glacées
La rose morte, ultime ex-voto.
Depuis ce jour, quand minuit étreint les pierres,
Un air lointain flotte entre les arceaux,
Mêlant l’amour, la mort et les guerres
En un seul chant, sans parole ni repos.
Et sous la lune, une ombre encor se penche
Sur une tombe où deux noms sont gravés :
Celui d’un homme parti sans revanche,
Et celui d’un cœur qui n’a jamais aimé.
Le vent mordait les pierres lépreuses,
Et l’hiver, tel un loup aux dents de givre,
Avait saisi la nef silencieuse
Où l’ombre éteignait les soupirs du livre.
Un homme errait, son violon noué
Contre sa chair comme un enfant malade,
Traînant ses pas dans ce désert froissé
Où Dieu lui-même avait posé son masque.
Il était né du chaos des batailles,
Son âme usée aux fourgons de la guerre,
Portant en lui ces éclats de mitraille
Qui dansent encore au fond des terres.
Son instrument, témoin des cieux brûlés,
Chantait parfois pour les morts sans visage,
Et chaque note, en l’air désassemblé,
S’accrochait aux vitraux comme un présage.
Un soir de cendre, il vit une silhouette
Glisser entre les piliers endormis,
Vêtue de gris, courbée mais discrète,
Femme-oraison au cœur de l’infini.
Ses yeux semblaient deux sources taries,
Où le chagrin avait creusé son lit,
Et sur ses mains, pâles et meurtries,
Dansaient les reflets d’un passé interdit.
Elle venait chaque aube, sans prière,
Déposer un lys sur un tombeau nu,
Celui d’un nom que la guerre altière
Avait rayé d’un geste ingrat et nu.
Le musicien, tel un spectre fidèle,
Observait cette offrande sans éclat,
Et dans son violon, une ritournelle
Naissait, fragile, entre le jour et l’absolu.
Un matin, las de l’éternel silence,
Il effleura les cordes de son âme :
Un chant monta, si pur qu’il fit vaciller
Les anges de plâtre aux voûtes pâlies.
La femme, alors, tourna son front fragile,
Et dans ses yeux trembla l’écho d’un monde
Où l’amour peut fleurir sur un asile,
Mais le destin veille, sournois et immonde.
Ils n’échangèrent que des regards-chuchotis,
Des sourires furtifs, gorgés de peur,
Tandis qu’au-dehors, les canons grondissaient,
Rappel brutal que la mort est chasseur.
Elle lui offrit une rose séchée,
Gardienne d’un été enseveli,
Et lui, pour elle, joua sans trêve
La mélodie d’un adieu incompris.
Les jours filaient, tissant leur toile obscure,
Chaque note liant leurs cœurs éperdus,
Mais la guerre, pareille à une encre dure,
Rongeait l’encre pâle de leurs vœux déçus.
Un soir, tandis qu’il répétait son thrène,
Des pas brutaux percèrent le sacré :
Des soldats, lourds de haine et de harnais,
Envahirent la nef, le regard verrouillé.
« Toi, le rôdeur, suiveur de funérailles,
Notre canon réclame tes deux mains !
La guerre a soif de chair à entrailles,
Et ton violon pleurera nos chagrins. »
Il résista, serrant son bois fidèle,
Mais un coup partit, sec comme l’enfer,
Et la musique, en éclats de cervelle,
Rougit les dalles du chant triomphal.
La femme, cachée derrière un pilier,
Vit son corps choir, léger comme une plume,
Et dans sa bouche, un cri sans lumière
Se brisa net, étouffé par la brume.
Elle ramassa le violon fracassé,
Colle de sang et de souvenirs vagues,
Et posa sur ses lèvres glacées
La rose morte, ultime ex-voto.
Depuis ce jour, quand minuit étreint les pierres,
Un air lointain flotte entre les arceaux,
Mêlant l’amour, la mort et les guerres
En un seul chant, sans parole ni repos.
Et sous la lune, une ombre encor se penche
Sur une tombe où deux noms sont gravés :
Celui d’un homme parti sans revanche,
Et celui d’un cœur qui n’a jamais aimé.
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