Le Dernier Chant de l’Astre Éteint
Un vieil homme chemine, égaré dans l’aurore,
Ses pas tracent des signes que le vent effacera,
Son ombre, complice muette, le suivra.
La terre, altière, exhale des soupirs de poussière,
Et l’horizon se voile d’une brume légère ;
Il porte en lui les échos d’un siècle révolu,
Un monde de marbre et d’or qu’il a perdu.
Ses yeux, deux lacs troubles où nagent les nébuleuses,
Cherchent dans le lointain les cités fabuleuses,
Où les arts fleurissaient comme des lys au soleil,
Où chaque homme était roi de son propre réveil.
Mais le désert répond par son immensité,
Étalant son linceul de stérilité,
Et le vieillard, tel un astrologue égaré,
Murmure aux dunes l’histoire de son passé.
« Je fus celui qui sculptait la parole en prière,
Qui ciselait l’azur dans la pierre meulière,
Mes mains, jadis, peuplaient le vide de couleurs,
Mais le vent a tari la source de mes pleurs.
J’ai vu les ateliers où naissaient les miracles,
Les toiles où dansaient les anges et les oracles,
Les plumes qui griffonnaient l’éternité…
Hélas ! Tout n’est plus que cendre et vanité. »
La nuit tombe, drapant le désert d’un manteau sombre,
Et l’étoile unique allume son candélabre.
Son reflet tremble dans la prunelle du vieillard,
Comme un dernier appel, un ultime regard.
« Ô toi, compagne des nuits sans lune,
Toi qui perces le voile des infortunes,
Dis-moi si là-haut, parmi les firmaments,
Existe encore un lieu pour les déchus du temps ?
J’entends chuchoter les sables éphémères,
Ils disent que les rêves sont des lueurs amères,
Que l’homme n’est qu’un songe errant dans la nuit,
Et que même les dieux ont fui leur paradis. »
L’étoile ne répond que par son feu glacé,
Scintillant sans amour, indifférente au passé.
Le vieil homme s’affaisse, épuisé de marcher,
Et le désert en lui commence à s’infiltrer.
Il revoit en un éclair les visages pâlis,
Les mains qui serraient les siennes aux soirs de jadis,
Les rires envolés comme feuilles mortes,
Les promesses noyées dans les ports sans embarcation.
« Ombres chéries, pourquoi m’avoir abandonné ?
J’ai cru que l’art suffirait à nous réunir,
Que nos noms survivraient aux râles des tempêtes,
Mais je n’ai plus que l’écho de mes propres défaites.
Le siècle a dévoré ses enfants sublimes,
Et moi, le survivant, je traîne mes abîmes,
Je suis le dernier témoin d’un festin éclipsé,
Le gardien maudit d’un trésor dispersé. »
Soudain, l’étoile frémit, son éclat pâlit,
Comme si le néant lentement la saisit.
Le vieillard se redresse, sa voix tremble d’effroi :
« Non ! Ne t’éteins pas encore… Reste avec moi !
Prends pitié de celui qui n’a plus d’espérance,
Laisse-moi croire encore à ta muette présence,
Je t’offrirai mes nuits, mes silences, mes vœux,
Ne me laisse pas seul face au gouffre hideux ! »
Mais l’astre inexorablement poursuit son déclin,
Sa lumière s’étiole en un souffle divin,
Et le vieil homme, hagard, tend ses bras vers les cieux,
Comme Icare jadis, ivre d’un dernier vœu.
« Prends-moi ! Emporte-moi loin de ce désert vide,
Où même les mirages ont renoncé à luire,
Fais de moi poussière parmi tes rayons morts,
Afin que je renaisse où finissent les corps ! »
L’étoile exhale un soupir de lumière éteinte,
Et dans l’ombre qui monte, implacable et sans crainte,
Le vieillard voit surgir les spectres du passé :
Des peintres sans visage, des penseurs effacés.
Ils dansent autour de lui, fantômes bienveillants,
Leur voix n’est qu’un murmure apporté par le vent :
« Viens, frère égaré, quitte ce monde de sable,
Là où nous reposons, l’oubli est moins amer.
Nous sommes les gardiens des rêves inachevés,
Des livres que le temps n’a jamais achevés,
Ici, chaque échec devient une mélodie,
Et chaque deuil se transforme en douce harmonie. »
Le vieillard sent son cœur se briser lentement,
Tandis que son esprit, léger, presque dormant,
Se laisse envelopper par leur cohorte blême :
« Est-ce donc là la fin ? La vérité suprême ?
Que reste-t-il de nous quand s’éteint le flambeau ?
Des mots sans interlocuteur, des chants sans écho…
Mais peut-être qu’ailleurs, dans un désert lointain,
Un autre vieil homme pleurera notre destin. »
Ses mains touchent les sables, froides et éternelles,
Son dernier souffle se mêle aux brises fidèles,
Et le vent, en passant, sculpte sur son visage
Le sourire apaisé de ceux qui ont vécu.
L’aube naît, indifférente à cette agonie,
Le désert déploie son indécente ironie :
Rien ne reste du vieux, ni tombe ni lamento,
Seul un crin de cheval blanc danse avec le vent.
Et l’étoile, là-haut, bien que morte depuis l’âge,
Continue de briller sur le nocturne page,
Car ce que nous perdons dans l’abîme du temps
Renaît parfois ailleurs… en poème inconsistant.
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