Le Marin et l’Écho des Marées
Un navire fantôme erre au gré des courants,
Ses voiles en lambeaux, mémoire des tempêtes,
Portent les stigmates des horizons mouvants.
Le marin, spectre aux mains crevassées de sel,
Fixe l’abîme où se meurt le chant des sirènes.
Son cœur, boussole rouillée par les années,
Bat au rythme sourd des vies ensevelies.
Un matin où la brume étreignait les écueils,
Il vit surgir des flots une ombre minérale :
Des colonnes brisées, des dieux aux yeux d’algues,
Temple englouti dressant sa pâleur sidérale.
Les portes de basalte, veuves de leurs chaînes,
Murmuraient une invite en langue oubliée.
Le vent porta vers lui des mots de pierre humide :
« Entre, toi qui as fui le souffle des années. »
Dans la nef où le temps suinte entre les fissures,
Il crut voir une forme au seuil des ténèbres :
Une femme debout, drapée de silence,
Ses cheveux d’ambre clair tissés de lunes ternies.
Ses mains, fines chaloupes aux ongles nacrés,
Semblaient pétrir l’argile des heures mortes.
« Je suis l’Épouse des Marées », dit sa voix d’ambre,
« Gardienne du repos que nul ne rapporte. »
Les jours coulèrent doux comme miel sur les dalles,
Elle lui montra les fresques des marées anciennes :
Ici, un roi marin noyé dans son armure,
Là, des amants changés en statues de bruine.
Il apprit à lire dans les astres salés,
À nommer les douleurs qui hantent les estuaires.
Mais chaque nuit, tandis qu’il dormait sous les voûtes,
Elle effaçait ses pas sur le sable éphémère.
Un soir d’orage où les dieux claquaient des dents,
Il la trouva pleurant des larmes de corail :
« Ma chair est liée aux algues et aux coquillages,
Mon souffle est le reflux qui jamais ne défaille.
Pars avant que la lune achève son cycle,
Je ne suis qu’un mirage au livre des marées.
Ton sang bat encore au rythme des terriens,
Fuis ce tombeau liquide où les vivants s’échouent. »
Il voulut l’arracher à sa geôle marine,
Mais ses doigts traversèrent un corps de brume froide.
« Regarde », dit-elle en déchirant sa tunique –
Sous l’étoffe glissait un squelette d’écailles.
« Je suis morte cent fois depuis la première aurore,
Mon amour n’est qu’un reflet dans ton miroir.
Va, cherche un port où les heures ont encore sens,
Moi, je dois attendre ici… l’éternel revoir. »
Quand l’aube vint laver les dernières étoiles,
Il mit le cap au nord, les yeux brûlés de sel.
Derrière lui croulait le temple dans les lames,
Emportant dans son sein les débris d’un adieu.
Vingt hivers ont neigé sur ses tempes fragiles,
Il erre de havres en ports putréfiés,
Portant comme un cilice sa mémoire marine,
Cherchant en chaque vague un visage oublié.
Un matin de grand vent où râlaient les goélands,
Il reconnut soudain un éclat de basalte :
Les dieux noirs gisaient sous un ciel indifférent,
L’algue avait recousu sa robe minérale.
À genoux dans les débris de marbre et d’ambre,
Il appela cent fois son nom de femme-tempête.
Seul répondit le cri d’une mouette aveugle
Qui lui mordit la main avant de s’envoler.
Maintenant il attend, assis sur les ruines,
Que la mer bienveillante achève son ouvrage.
Ses yeux sont deux coquillages vides de perles,
Sa barbe un champ de varech séché au vent.
Quand la lune se coule dans les fissures du monde,
Il croit entendre encore une voix dans les roches :
« Je t’attendais depuis l’aube des premiers âges,
Notre amour est plus vieux que les mots des hommes. »
Mais ce n’est que le râle des vagues mourantes
Qui polissent sans fin les os du temps perdu.
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