Le Chant du Temps sur les Ruines d’un Rêve Éteint
Un village oublié, tel un spectre de pierre,
Étire ses maisons que rongea le remord,
Sous l’écharpe d’un ciel où pleure la lumière.
Là, vivait un rêveur au cœur foudroyé d’art,
Dont les doigts frêles dansaient avec la poussière,
Capturant l’éphémère en des croquis épars,
Mais son génie voilé sombrait dans la misère.
Son nom ? Un souffle au vent. Son âme ? Un lac de brume
Où glissaient les reflets d’un amour interdit :
Clémence, fleur des champs que le destin allume,
Dont les yeux éclipsaient les astres de la nuit.
Elle errait, chaque aurore, au bord des lavandières,
Portant l’eau comme un poids aux plis de son corsage,
Et son rire cristal, né des sources premières,
Réveillait les échos d’un impossible hommage.
L’artiste, chaque soir, du seuil de son repaire,
Guettait l’ombre qui passe où dansait son espoir,
Croisant parfois son regard, doux et séculaire,
Aussi bref qu’un éclair qui déchire un ciel noir.
Il sculptait dans le bois ses courbes fugitives,
Peignait sur parchemin les roses de ses joues,
Mais ses œuvres, toujours, restaient captives, craintives,
Enfermées dans la nuit où les aveux se jouent.
Un jour, l’automne vint, paré de rouges flammes,
Apportant dans son sillage un messager fatal :
Clémence, promise à l’héritier des rames,
Un nocher au front dur, héros d’un autre mal.
Le peintre, apprenant l’heure où son cœur se brise,
S’enfuit vers la falaise où hurlent les rafales,
Grava dans le basalte une ultême devise :
« Je suis l’ombre qui aime et meurt sous les rafales. »
Les mois filèrent, lents, comme un sanglot qui coule,
La neige ensevelit les soupirs du hameau ;
Clémence, sous les lis des voiles qui s’enroulent,
Marcha vers son destin, tel un pâmeur roseau.
L’artiste, désormais spectre aux mains vides, blêmes,
Errait parmi les puits où stagnent les vieux songes,
Murmurant à la lune des poèmes blasphèmes
Que seuls comprenaient les corbeaux en mensonges.
Un soir de grand dégel, alors que les sources
Chantaient leur requiem pour les amours défunts,
Il croisa sur le pont la reine de ses courses,
Portant au sein l’enfant des noces importunes.
Leurs yeux se souvinrent des feux éteints trop tôt,
Un monde se brisa dans ce silence immense ;
Elle tendit vers lui une main de cachot,
Mais il fuit, emportant l’écho de sa souffrance.
L’hiver suivant fut rude, et le gel, sans remords,
Étreignit le village en ses griffes de verre.
On trouva, au matin, sous les dalles des morts,
Le peintre inanimé, serrant contre sa chair
Un portrait imparfait où Clémence, immortelle,
Souriait dans un cadre de larmes et de vent.
Les doigts raidis tenaient une lettre solennelle
Où ces mots s’évaporaient : « J’aimais en rêvant… »
Le temps, ce vieux filou qui ricane aux décombres,
Effaça les couleurs, dispersa les mémoire ;
Le village n’est plus qu’un nom perdu dans l’ombre,
Et l’amour du rêveur, une vague noirceur.
Seul subsiste, parfois, quand la lune est propice,
Un soupir dans les joncs, près du pont délabré,
Où deux fantômes muets, égarés dans leur vice,
Pleurent l’éternité d’un baiser non livré.
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