Le Chevalier des Larmes Éternelles
Sur les vitraux blessés où saignait l’horizon,
Un homme en armure noire, fantôme qui se rend,
Traînait l’écho lointain d’un impossible pardon.
Ses pas creusaient la nef comme un glaive en prière,
Chaque pierre gisait, témoin muet et las,
Les cierges expiraient en lueurs mensongères,
Et l’orgue murmurait un chant qu’on n’entend pas.
Il s’appelait Othon, chevalier sans royaume,
Dont le cœur autrefois brûlait d’un feu si clair
Qu’il jura sur l’épée, au seuil d’un autre drame,
De protéger un nom qui n’était plus dans l’air.
Mais les guerres sans fin, ces louves aux dents pâles,
Avaient rongé son serment ainsi qu’un fruit mûr,
Il errait depuis l’aube où s’éteignit le palais,
Portant le deuil d’un monde enfoui sous le futur.
Ce soir, il revenait, pèlerin de lui-même,
Dans cette cathédrale où tout était promis :
Les fresques racontaient des amours suprêmes,
Et les anges de marbre avaient des pleurs inscrits.
Soudain, entre les colonnes où danse l’ombre folle,
Une forme glissa, vêtue de brume et d’or,
Ses cheveux déroulaient des nuits sans parabole,
Et ses yeux contenaient l’océan qui s’endort.
— « Reconnais-tu ces lieux où ton âme jura
De ne jamais fléchir, même sous les décombres ? »
Sa voix était un vent qui soulève les branches,
Un appel oublié dans le livre des ombres.
Le chevalier trembla, son heaume entre ses mains :
— « Toi qui fus mon épée et mon bouclier triste,
Pourquoi hanter ces murs où nos songes sont vains ?
Notre pacte est mort avec les lys de l’artiste. »
Elle avança, légère, effleurant les dallages,
Et l’air se chargea d’un parfum de lys noir :
— « Le serment survit quand pâlissent les visages,
Mais ton cœur a choisi de renier son devoir.
Rappelle-toi la plaine où croulaient les bannières,
Les cris étouffés dans la gorge du matin,
Tu m’as abandonnée aux griffes des fougères,
Moi qui t’attendais au seuil du destin. »
Il tomba à genoux, l’acier criant sa peine,
— « J’ai cru sauver un monde en laissant choir ton nom,
Mais chaque victoire était une larme pleine,
Et chaque pas vers l’est m’éloignait de ton don. »
La femme spectral tendit une main diaphane :
— « Vois ces murs lézardés, ces saints aux yeux crevés,
Ils furent les gardiens d’une flamme profane
Que tu as laissé choir dans les champs de pavés.
Ton honneur n’est plus qu’une épée rouillée,
Ta gloire, un chant perdu dans la gorge des puits,
Mais l’amour que tu trahis reste une alliée
Qui pleure entre les lignes du temps qui s’enfuit. »
Alors, du haut des voûtes où s’accroche la poussière,
Un rire cristallin tomba comme un couteau :
— « Mortel, ton repentir n’est qu’une ombre passagère,
L’éternité se rit de ceux qui disent « Il faut ». »
Et les statues, soudain, ouvrirent leurs paupières,
Déversant des ruisseaux de larmes en métal,
Les vitraux éventrés laissèrent choir leurs pierres,
Tandis qu’au fond du chœur grondait un finale fatal.
Le chevalier sentit son sang virer au givre,
Il voulut se lever, brandir son arme en vain,
Mais la femme déjà n’était plus qu’un livre
Dont les pages volaient vers un demain divin.
— « Attends ! cria-t-il, laisse-moi tout refaire !
Je sculpterai mon cœur dans le marbre des morts,
Je boirai l’univers pour enfin me taire,
Et j’apprendrai l’amour à force de remords ! »
Mais le silence, tel un linceul obstiné,
Étouffa ses sanglots dans les plis de la nuit,
Les anges détournèrent leurs regards condamnés,
Et les cierges moururent dans un soupir d’ennui.
Alors, Othon comprit que l’heure était venue
De payer le tribut exigé par le sort,
Il posa son épée contre une vierge nue,
Et défit son armure en offrande à la mort.
Sa chair n’était plus qu’une plaie qui respire,
Ses yeux, deux lacs troublés par l’orage des ans,
Il s’allongea sur les dalles, frêle navire,
Et murmura le nom que plus personne n’entend.
La cathédrale entière oscilla comme un rêve,
Les murs fondirent en cendre, les piliers en regret,
Il ne resta bientôt qu’une épave qui crève,
Et le vent qui chuchote : « Tout espoir meurt secret. »
Au matin, les voyageurs qui passèrent près
Ne virent qu’un champ nu où gisait un heaume,
Et ceux qui s’approchèrent pour toucher ce progrès
Sentirent dans leurs mains le poids d’un lourd royaume.
On dit qu’en ces lieux plane une ombre qui répète :
« L’honneur n’est qu’un miroir brisé par les combats,
L’amour seul demeure, mais trop tard on s’en mêle,
Car l’espoir perdu ne reviendra jamais. »
Et quand la lune baise les ruines anciennes,
On entend sangloter, entre deux mondes flous,
Un chevalier qui cherche, au-delà des antennes,
Celle qui fut son âme et qu’il ne trouve plus.
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