L’Éternel Écho des Neiges
Un homme gravissait l’escalier du silence,
Portant sur son dos léthargique l’outrage
Des hivers oubliés et des rêves en absence.
Peintre aux doigts de brume, il cherchait dans les cimes
Ce vertige sacré que le vulgaire ignore,
La caresse d’un Dieu caché sous les abîmes
Qui transforme la neige en palette d’aurore.
Son atelier était le vent, le roc, la fièvre ;
Les mélèzes tordus par les colères du temps
Lui murmuraient en chœur des sagesses de lièvre,
Et l’ombre des corbeaux traçait ses mouvements.
Un matin où la brume avait des pleurs d’opale,
Il trouva sous un bloc de gel éblouissant
Une enveloppe froide, exhumée par la rafale,
Dont le papier jauni tremblait comme un présent.
L’écriture était celle d’un amour ancien,
Une encre pâlie par vingt ans de tourmentes,
Où chaque mot portait l’accent d’un bien perdu,
L’écho d’un pas dans l’âme errant à bouche close.
« À toi qui pars chercher la lumière interdite,
Je confie ces mots au gouffre des sommets.
Sache qu’en bas, le temps m’a faite petite,
Et que l’hiver a pris mon souffle désormais.
Nos jours étaient tissés de toiles inachevées,
De couleurs fuyant l’aube avant d’avoir brillé.
Tu voulais peindre l’âme des neiges troublées,
Et moi, je t’attendais au seuil de l’éternel.
Mais les saisons ont bu mes forces et mes rides,
La cheminette éteinte a cessé de mentir.
Je suis devenue l’ombre où ton pinceau hésite,
Le gris qui se dérobe au désir de finir.
Ne redescends pas, ami des cimes altières,
Car tu ne trouverais qu’un silence glacé,
Une maison vidée de ses dernières lumières,
Et mon nom effacé sous les lis des fossés.
Vis pour l’art, vis pour l’or de tes chimères folles,
Mais sache qu’en partant vers ces déserts de sel,
Tu as emporté l’unique étoile polaire
Qui guidait mes nuits vers le port du réel. »
Le peintre resta sourd au vent qui le supplie,
Collant la lettre au cœur comme un dernier rempart.
Il crut voir dans les plis une main qui délie
Les nœuds de sa mémoire et les chaînes du hasard.
Il reprit son bâton, son sac de toile rêche,
Et marcha vers les pics où naît l’aquilon,
Cherchant dans chaque flocon la forme d’une brèche
Où faire jaillir l’âme éparse du canyon.
Les jours filaient, pareils aux loups maigres des plaines,
Rongeant ses doigts gelés, son manteau déchiré.
Il peignait des clartés, des lunes incertaines,
Des forêts de cristal pleurant des pleurs sacrés.
Un soir, comme il tendait sa toile aux vents livides,
Une voix surgit du creux des rochers muets :
« Pourquoi fuir la douceur des souvenirs timides ?
L’amour n’est-il donc pas ton ultime palette ? »
Il se retourna, mais ne vit que la bise
Dansant avec les mots jaillis du parchemin.
La neige se fit linceul, la montagne éprise
D’un silence si lourd qu’il étouffait les pins.
Alors, il comprit que sa quête insensée
N’était qu’un long détour pour éviter l’adieu,
Que chaque coup de pinceau sur la falsifie
La vérité du cœur mise à nu par les cieux.
Il bâtit un autel de glace et de pierre,
Y déposa ses tubes aux couleurs de sang sec,
Puis s’allongea dans la blancheur carnassière,
Les yeux ouverts sur l’infini cruel et net.
Les loups du crépuscule vinrent lécher ses tempes,
La lune déchira son suaire de jadis,
Et dans son dernier rêve, il vit deux corps qui rampent
Vers un foyer éteint où personne n’a ri.
Quand le printemps tendit ses doigts verts sur les cimes,
Un berger trouva là, sous un amas de rocs,
Un homme enlacé à des paysages intimes,
Les joues couvertes de frost mêlé à ses sanglots.
Dans sa main crispée, une lettre sans adresse,
Où l’on pouvait lire, à demi dévoré :
« Je t’attendais… » Le reste avait fondu dans l’esseulement,
Et le vent acheva ce qui n’était pas pleuré.
Maintenant, quand l’orage étreint les cols austères,
Les voyageurs perdus jurent entendre parfois
Un murmure qui danse avec les ombres claires :
« L’art est un bel écrin pour nos adieux enfois. »
Et l’écho répète, infatigable et morose,
La mélodie d’un rêve égaré dans le réel,
Tandis que tombent, lentes, les neiges décomposées
Sur les tombeaux ouverts des hommes éternels.
« `