Le Chevalier des Sables Oubliés
Où la lune écorche les ombres d’argent,
Errait un guerrier aux armures chargées de charmes,
Portant au flanc l’écho d’un serment figé dans le vent.
Son nom s’était perdu dans les plis de l’aurore,
Effacé par les siroccos et leur rire de fer ;
Seul demeurait un heaume où rouillaient les aurores,
Et un cœur morcelé par l’absence de l’hiver.
Il marchait depuis des saisons sans printemps,
Traînant l’épée inutile et le bouclier nu,
Cherchant en vain le visage que le temps
Avait couvé dans les limbes du rêve aboli.
Un soir où le ciel saigna des larmes de cuivre,
Il crut voir danser une forme entre les rocs :
C’était elle, spectre aux boucles de givre,
Dont les pas creusaient des abîmes dans le sable hoc.
« Ô toi qui hantes mes nuits en robe de brume,
Es-tu l’esprit ou le mensonge du mirage ?
Rends-moi le souffle volé par les dunes,
Ou brise enfin cet espoir qui me ravage ! »
La vision trembla, fragile comme un cristal,
Ses lèvres murmurant un chant sans consonnes :
« Cherche au-delà des monts que le chagrin étale
La source où nos destins buvaient à la même automne. »
Il partit, aveuglé par les feux du mensonge,
Franchissant les ravins où gisaient des cités mortes,
Tandis que le désert, tel un serpent qui allonge
Ses anneaux, dévorait l’horizon et les portes.
Les étoiles filantes, complices du néant,
Cousaient sur son manteau des larmes de poussière ;
Chaque pas éveillait un soupir étouffant,
Chaque rafale portait une voix familière.
« Reviens », disait le vent en imitant son accent,
« L’oubli est doux pour qui n’a plus de visage. »
Mais le chevalier, ivre d’un espoir glaçant,
S’enfonça dans la nuit comme un loup en cage.
Un jour, il trouva un lac aux eaux de mercure,
Où nageaient des reflets de lunes déchues ;
Au centre, une île ceinte de dentelles obscures
Abritait un jardin aux roses déjà vaincues.
Là, sous un arbre noir aux branches de suie,
Elle attendait, pareille à un lys sans racines,
Ses yeux deux puits noyés d’éternelle ennui,
Ses mains un nid de brindilles et d’épines.
« Pourquoi m’avoir suivi dans ce royaume vide ?
Notre amour était cendre avant même l’adieu.
Tu as marché sur les cendres du temps liquide,
Et perdu jusqu’au goût de l’eau et du feu. »
Le chevalier tomba, terrassé par les syllabes,
Sentant son sang se changer en sable mouvant ;
« Je t’ai cherchée dans les plis des sables stables,
Mais ton âme était ombre avant même le vent. »
Elle sourit, effaçant ses larmes fictives,
« Notre histoire fut écrite avec de l’encre pâlie :
Le désert est le roi des amours passives,
Il dévore les voix qui réclament la vie. »
Alors, le ciel déchira ses voiles de soie,
Révélant un soleil vorace et sans clémence ;
Le chevalier, nu sous l’armure qui ploie,
Vit fondre ses souvenirs en larmes d’absence.
La femme-spectre s’éteignit en un souffle,
Emportant dans son sillage les couleurs du monde ;
Il resta seul, statue au seuil du gouffre,
Les yeux pleins d’un crépuscule où plus rien ne répond.
Le désert engloutit ses pas et son histoire,
Refermant sur lui ses mâchoires de verre ;
Il ne resta qu’un heaume rougi par la mémoire,
Et l’écho d’un sanglot qui traverse les terres.
Maintenant, quand la lune mord l’horizon,
On entend gémir les pierres et les saules :
« L’espoir n’est qu’un mirage né de la raison,
Et l’amour, un désert où s’égarent les foules. »
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