L’Éternel Soupir des Vagues
Un enfant aux yeux las, héritier du naufrage,
Foule un rivage amer que la brume a saisi.
Éliot, nom fragile échappé du passé,
Cherche en vain dans les vents un murmure ancestral
Qui dirait son lignage au delà des brouillards.
Les vagues, enlaceuses de mémoire érodée,
Bercèrent son berceau d’écume inondé,
Lorsqu’un soir de fureur, sous la lune assassinée,
Ses parents, ô destin ! sombrèrent en silence,
Le laissant, fruit meurtri, aux bras d’une marée
Qui jura de le taire au sein de ses abîmes.
Dix hivers ont neigé sur ses épaules frêles,
Dix étés embrasé ses nuits d’insomnie crève,
Mais l’orphelin, debout, défie l’horizon sourd.
Un vieux gardien de phare, à la voix de velours,
Lui promit, cœur ouvert sous les astres penchés,
La clé d’un secret que les mers ont caché.
« Reviens quand la houle aura grisci mon visage,
Quand mes mains trembleront comme l’aile des présages :
Je te nommerai l’ombre et la lumière en toi. »
Et l’enfant, chaque aurore, escaladait la tour,
Guettant sur le fronton ridé du vieux veilleur
Le signe attendu qui déchirerait leur jour.
Mais le temps, ce filou aux doigts de vent glissant,
Égrenait sans pitié les grains de leur attente.
Le gardien, chaque mois, ployait sous les rafales,
Ses prunelles d’azur ternies par les embruns,
Tandis qu’Éliot, tel un saule enraciné,
Grandissait dans l’angoisse et les silences nus.
Un soir où l’océan, bête fauve enchaînée,
Rugissait sa détresse aux rochers constellés,
L’enfant vit le vieillard, spectre à la cape usée,
Tituber sur la rampe où hurlait la tourmente.
« Mon garçon, approchez… L’heure est proche où je dois
Vous livrer ce serment qui pèse plus que moi.
Écoutez… Votre père, avant que ne se brise
Son navire, me lança cette ultime devise :
« Gardez mon fils, qu’il sache, au terme du chemin,
Que nul ne traverse l’océan sans destin. »
Mais le mot qui libère est un oiseau rebelle :
Ma langue est un rocher, et ma gorge, querelle… »
Soudain, un éclair fend la nuit en deux versants.
Le phare vacilla, monstre blessé gémissant,
Et le vieux gardien, saisi d’un râle obscur,
Tomba comme un fruit mûr dans les bras du futur.
L’enfant, effaré, colla son oreille froide
Au cœur qui se glacait sous la laine trop moite.
« Non ! Vous ne partirez sans avoir achevé
Le récit promis ! » Mais le corps était lavé
Par les pleurs de la pluie en rafales cruelles.
La mer, en sarcasme, beuglait ses ritournelles,
Volant à l’innocent l’unique vérité
Qui pouvait apaiser son âme dévastée.
Des années ont passé, lentes comme un remords.
Éliot, à présent, hante les mêmes bords,
Guettant dans chaque écume un fragment de mensonge.
Le phare n’est plus qu’un squelette qui songe,
Et les goélands, en chœur désespéré,
Pleurent l’espoir perdu qui n’a jamais germé.
Un matin, il trouva, dans une grotte humide,
Un coffret rouillé que les vagues lui offrirent :
Lettres d’un amour mort, journal aux mots fanés,
Portraits mangés par le sel, destins condamnés.
Il lut, sous un parchemin taché de larmes,
Que ses parents, hélas ! n’étaient que deux leurres :
« Enfant né de la houle et du sang des marées,
Tu fus le dernier don d’une mère sacrifiée,
Car ton vrai père, écoute, est cet infini bleu
Qui reprend ce qu’il donne en un éternel jeu. »
Alors, il comprit que nul sang ne l’attache,
Que sa quête n’était qu’un leurre qu’on arrache.
Sous le ciel ulcéré, il marcha vers les flots,
Ses pieds creusant des mots que le sable effacera.
Les vagues, en riant, léchèrent ses orteils,
Et quand la nuit tomba, dense comme un linceul,
On ne vit plus qu’un châle flottant sur la houle –
L’adieu d’un rêveur au destin trop cruel.
Depuis, les matelots, par les nuits de tempête,
Jurent qu’une voix triste y murmure sans cesse :
« Le temps mange les promesses comme un vautour,
Et la mer n’est qu’un miroir brisé de l’amour. »
Ainsi meurent les contes aux frontières du réel,
Laissant l’écume blanche en souvenir du ciel.
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