Le Pèlerin des Ruines
Ses pas creusaient la poussière où dormaient les empires,
Il cherchait, disait-il, ce qui ne meurt jamais :
Un mot forgé dans l’ombre avant que l’aube expire,
Une vérité nue échappée aux secrets.
Le vent sculptait son manteau, l’usant jusqu’à l’âme,
Les montagnes, témoins muets de ses tourments,
Lui montraient l’horizon où s’effilochait la trame
D’un temple oublié, gardien des firmaments,
Dont les murs éventrés saignaient l’or des tourments.
Trois lunes le guidèrent vers ce sanctuaire vide,
Où chaque pierre chantait un hymne de douleur,
Les colonnes, fantômes d’un ordre pétrifié,
Soutenaient les débris d’un impossible malheur,
Et l’écho répétait : « Ici naquit la couleur
De tous les songes morts qui hantent les paupières… »
Il entra, respirant l’encens des souvenirs,
Quand soudain, dans la nef où dansait la pénombre,
Une voix sans visage effleura les désirs :
« Voyageur, as-tu vu les larmes du monde sombre ?
As-tu compté les cris scellés sous les martyrs ? »
L’homme, les yeux brûlés par l’absence de flamme,
Tendit ses mains vers l’invisible interlocuteur :
« Je suis celui qui porte en sa poitrette lame
L’aiguillon de l’énigme et la soif du lecteur.
Montre-moi le miroir où se brisent les leurres. »
Alors, entre les brumes que tissait le silence,
Une forme émergea, drapée de crépuscule,
Ses cheveux étaient fils de pluie et de souffrance,
Ses lèvres, deux rubis où brillait le recul
Des promesses que l’aube aux mortels distribue.
« Je fus Reine ici même, avant que ne s’efface
Le nom gravé au fronton de l’éternité.
J’attendais un esprit capable de l’audace
D’affronter le savoir qui tue la clarté.
Es-tu prêt à payer le tribut de ta quête ? »
L’homme, ivre d’un espoir plus vieux que sa naissance,
S’agenouilla, offrant ses doutes en tribut :
« Prends mes nuits sans sommeil, prends ma vaine innocence,
Mais dis-moi quel destin aux hommes est prescrit,
Et pourquoi chaque vérité porte un deuil maudit. »
La Reine des Décombres, d’un geste lent, désigne
Un escalier de marbre aux marches de cristal,
Où chaque degré luisaient des signes étranges
Comme des scarabées pris dans un métal froid :
« Descends, et tu sauras. Mais nul n’en est revenu. »
Il plongea, traversant des couloirs de symboles,
Des fresques où saignaient des guerres sans vainqueurs,
Des sphinx aux yeux fermés gardant des paraboles
Dont les mots se changeaient en serpents sur les cœurs…
Plus bas, une eau stagnante miroitait de pâleurs.
Au centre de la cave où l’air était essence,
Un livre ouvrait ses pages sur un autel noir.
Les caractères dansaient, fous de réminiscence,
Chaque syllabe un glaive, chaque phrase un espoir
Dévoré par la gueule avide du savoir.
L’homme lut. D’abord bas, puis d’une voix rauque,
Il dévora les lignes où brûlait l’univers,
Comprit l’amertume des étoiles en défaut,
Le rire des bourreaux, le sang des déserts,
Et pourquoi les enfants naissent avec des fers.
Soudain, il se mit à rire, un rire sans joie,
Un râle de volcano enseveli vivant :
« Ainsi donc, la lumière n’est qu’un leurre qui ploie
Sous le poids des chaos que le temps sème en rêvant !
La vérité ? Un vide où l’ombre se déploie. »
La Reine apparut, voilée de compassion :
« Tu vois. Maintenant, tu ne pourras plus aimer.
Chaque baiser sera mensonge, chaque chanson
Un écho déformé. Tu vas désapprendre
Le goût des lendemains qui dansent sans pleurer. »
L’homme, déjà changé en statue de cendre,
Sentit ses yeux briller d’un éclat inhumain :
« Donne-moi le néant, ou bien la force de rendre
Ce poison aux aveugles qui marchent dans leur fin.
Je serai le prophète hurlant dans les ruines. »
Elle lui prit la main, d’une étreinte glaciale :
« Non. Tu vivras. Et chaque matin, tu croiras
Qu’un remède existe aux blessures terminales.
Tu bâtiras des mots pour cacher les tombeaux,
Tu souriras… en portant l’enfer de ce fardeau. »
Le temple s’effaça comme un songe qui fuit,
Laissant l’homme debout dans un désert sans traces.
Depuis, il erre, scribe maudit de la nuit,
Écrivant sur le sable les vérités voraces
Que le vent, chaque aube, efface sans répit.
Et parfois, aux carrefours des villes lointaines,
On entend une voix psalmodier dans les cours :
« Malheur à qui soulève le suaire des peines !
La sagesse est un puits où boivent les vautours… »
Puis le rire se perd, emporté par l’amour.
« `