Le Dernier Acte de l’Âme Errante
S’étendait un théâtre aux rangées désertées,
Là où jadis l’écho d’une foule effervescente
Chantait la vie, vibrant en mille clartés.
À l’ombre des cintres, un homme veillait seul,
Acteur en dérive, sous l’oubli étendu,
Son âme égarée parmi l’ombre et le deuil,
Cherchant en l’absence un souffle contenu.
Le silence pesait, lourd, dense et infini,
Chargé de regrets tels des spectres muets,
Chaque siège vide encensait l’agonie
Des jours envolés, des rêves imparfaits.
Il errait dans l’espace aux planchers craquelés,
Comme une marionnette à qui l’on a coupé
Les fils subtils qui tenaient ses vérités,
Sa voix se perdait dans l’air désolé.
« Où sont les brûles passions, les heures éblouies ?
L’éclat des voix hautaines, les rires et les pleurs ?
Le feu sacré des rêves, les combats de la vie,
La lutte vaine et belle, le triomphe des cœurs ? »
Ainsi murmurait-il, en l’écho de ce vide,
Sa langue était lave d’un volcan enseveli,
Chaque mot un poignard en un temps aride,
Chaque soupir une vie que le temps ravit.
Il se souvint alors des soirs d’autrefois,
Quand sous cette arche naissait la féerie,
De l’odeur des planches en bois, des pas, des voix,
Et du feu des regards chauffés à la folie.
Il revivait, nu dans sa passion défaite,
Prix lourd que paye un comédien sincère,
Quand l’ovation, douce, laisse la chair muette,
Et l’âme en plein naufrage, prit dans sa mer.
Sur les murs décharnés glissaient des ombres fines,
Des spectres de rôles joués puis abandonnés,
Fantômes vêtus d’or, de soies cristallines,
Livrant à la nuit leur éclat fané.
Le vent jouait une danse de plaintes secrets,
Un dernier caprice des heures révolues,
L’acteur en dérive parla à ces profils discrets,
Comme on parle à soi, à ce que l’on perdu.
« Ô muses mortes, âmes en abstinence,
Qui jadis guidiez mes pas sous les feux,
Ne reste-t-il donc que ce néant immense,
Pour seul compagnon de mes feux ?
N’est-il point de salut dans ce théâtre vide,
Ni lumière à cueillir sur un socle brisé ?
Dois-je mourir, seul, en ce lieu suicidé,
Sans dernier mot, sans dernier ride ? »
Le silence alors se fit plus profond,
Comme si lui-même, le temps, suspendu,
Reconnaissait l’écho d’un si douloureux son,
Le soupir d’un homme à jamais perdu.
Les planches pleuraient au moindre pas,
La lune pareille à un œil glacé d’azur,
Veillait immobile sur ce drame sans éclat,
Sur ce cœur fatigué, sur cet ours sombre et dur.
L’acteur se laissa choir dans un fauteuil de velours,
Les mains devant son visage posé,
Son esprit tourbillonnait dans un funeste cours,
Où l’espoir et la douleur s’étaient mêlés.
Il pensa à l’annonce des entrées soldées,
À l’oubli lent, au poids des jours qui tombent,
À l’invisible fosse où s’enfouissent les idées,
Aux rêves réduits en cendres qui sombrent.
Au-delà des coulisses, dans la nuit profonde,
Le vent soufflait et roulait les feuilles mortes,
Le théâtre sanglotait, son dernier monde,
Sous un ciel tourmenté, sans nul autre porte.
La lune, témoin muet de cette fin tragique,
Éclairait la cascade des pensées noires,
D’un homme brisé par l’usure cynique,
D’un artiste perdant ses soirs.
Le dernier acte approche, sans applaudissements,
Sans public fervent ni éclair vivant,
Simplement le vide, l’écho des temps,
Et la solitude, de titans aux pieds clayants.
Il regarda le plafond, sentant l’abandon,
Il murmura : « Adieu, ô flamme fragile,
Je quitte la scène, ce sombre bastion,
Dans ce théâtre où mon cœur oscille. »
Ses paupières se fermèrent, le silence épais
Enveloppa d’un voile l’ultime phrase lancée.
Un soupir s’envola parmi la nuit sans paix,
L’acteur en dérive s’en alla sans cadence.
Le vent repris ses pleurs, le théâtre expirait,
Ombre parmi les ombres, poussière et néant,
Et sous la lune claire, il ne restait rien,
Que le vide immense d’un monde absent.
Ainsi se perdit l’âme d’un comédien en fuite,
Errant dans un monde dénué d’échos,
Sous un ciel sans étoiles, où la douleur s’invite,
Où finit la quête, où meurt le héros.
La nuit referma son livre inexorable,
Et nul ne sut jamais, nul ne le revit,
Que dans ce théâtre désert, impitoyable,
Se joua la tragédie d’un cœur meurtri.