Le Miroir du Matin
Un jardin sommeillait sous l’embrun ingénu,
Où l’herbe en cristal, brûlante et fragile,
Égrenait déjà ses perles au souffle agile.
Là, Rêveur pensif, au front de lumière,
Sous l’arceau d’une branche où danse une rivière,
S’attardait, pieux gardien d’un mystère ancien,
Du temps qui s’échappe, ouvrage incertain.
Les fleurs, en leurs robes d’or, s’éveillaient timides,
Comme des souvenirs chuchotés, humides,
De ce matin fugace où tout s’envole à l’heure,
Éphémère sous le vent, fragile est sa lueur.
Le doux éclat vermeil qui peint l’horizon,
N’est-il qu’un mythe né d’une tendre raison ?
Rêveur murmura, au souffle du silence :
« Qu’ai-je, sinon le temps, pour unique présence ? »
Ses pas, sur la mousse, esquissaient des poèmes
Qui cherchaient l’identité, voile des problèmes.
« Qui suis-je, parmi ces arômes et ces brises,
Qui s’éparpillent vite, sans que personne ne saisisse ? »
Il vit l’églantier, tendre éclat de rubis,
Fleurir, frissonner, puis mourir sans bruit.
Son cœur battait fort, captif de ce déclin,
Conscience aiguë de ce présent incertain.
— Ô beauté passagère, dit-il en silence,
Tu portes en ta grâce un cruel balancement.
L’art ou le destin, c’est que tout est fugace,
Que le vent d’un instant s’envole et se lasse.
Il cueillit dans ses mains un pétale fragile,
Miroir d’un visage, d’un songe subtil.
Là, dans cette conquête qu’est la perte lente,
Se dessinait l’ombre d’une quête ardente.
Une voix intérieure se fit plus insistante :
« Cherche, sans cesse, l’ombre ou la lumière vacillante,
Car l’identité n’est point lieu fixe, muet,
Mais un fleuve mouvant, sans arrêt découvert. »
Il vit soudain, dans l’éclat d’une rosée pure,
L’instant s’écouler, brillant d’une brûlure,
Une larme du temps, perle éphémère,
Ressort de la vie, secret de la terre.
Alors naquit l’idée, douce compagne ailée,
Que le moi véritable, vaste océan voilé,
Ne réside pas dans l’immobile façade,
Mais dans le souffle invisible que le matin balade.
Rêveur s’assit, sous l’arbre aux murmures fines,
À écouter le chant des heures câlines.
Chaque seconde, une note volée à l’infini,
Chaque battement, éclat d’un être meurtri.
Le vent caressa l’ombre embrumée des branches,
Comme un poème doux que jamais il n’ébranle.
Et le jardin devint musique confuse,
Où l’âme se perd et tend ses ruses.
Il s’écria enfin, brisant le silence :
« Si tout s’efface, ai-je pour seul sens,
Que cette quête ardente, en regardant s’éteindre
Les feux du matin, ces instants qu’on ne peut peindre ? »
Un papillon passa, frêle étoile de soie,
Emportant la promesse d’un lendemain en émoi.
Sans fin ni commencements, l’éphémère danse,
Offrant au rêveur une fragile délivrance.
Et voici que le ciel, d’azur et d’or peint,
Absorba le jardin, en un souffle éteint.
Mais dans le cœur du Rêveur, brûlait la flamme,
D’une quête sans nom, d’un doux et tendre drame.
Le temps s’échappait, fuyant entre ses doigts,
Le jardin s’évanouit dans la douce émoi.
La beauté se délite, l’instant se dérobe,
Et pourtant dans son âme, un écho s’obre.
Peut-être qu’au matin, quand l’ombre s’efface,
L’identité naît d’une infinie trace.
Ni complète, ni claire, toujours en chemin,
Une énigme mouvante, au souffle incertain.
Le Rêveur se leva, regardant l’horizon,
Où s’engloutit l’instant, ivre d’abstraction.
Il marche, il cherche, il rêve encore,
Dans ce jardin où le temps reste un décor.
Et c’est là que s’achève ce chant ouvert,
Sur un souffle léger, un espoir découvert :
Que l’être se construit dans l’éphémère voile,
Toujours incomplète, sans cesse en étoile.