Les Cendres du Serment
Où les murs éventrés sanglotent vers les cieux,
Un poète maudit, couronné d’épinoche,
Errait parmi les cris des pierres et des dieux.
Son ombre, longue traîne aux reflets de braise,
Fouillait l’éternité des décombres muets,
Cherchant dans les débris où gît quelque marbrise
L’écho d’un souffle aimé qu’il n’entendrait jamais.
Un soir où la lune, spectrale et décharnée,
Vêtait les clochers morts d’un lin pâle et flottant,
Il vit se dessiner, sous une arcade née
Des larmes de l’aurore, un visage attendu.
C’était elle : un profil taillé dans les nuées,
Ses cheveux ruisselant en fleuves d’onyx noir,
Ses yeux où se noyaient les constellations,
Miroirs d’un autre temps promis au désespoir.
« Ô toi, l’âme des lieux que le destin ravage,
Spectre ou rêve importé des songes de l’éther… »
Il tendit une main frêle, lourde d’orages,
Mais elle, souriant d’un sourire d’hiver :
« Je suis l’ombre qui danse au bord des précipices,
Le nom que tu gravas dans l’écorce des chênes,
L’étoile dont tu bus le venin dans les lis…
Notre amour est écrit dans les plaies de la plaine. »
Ils s’aimèrent. Les murs, témoins silencieux,
Gardèrent leurs serments sous les cendres fertiles.
Il lui offrit des vers trempés de sel et de cieux,
Elle, des nuits de jasmin et des matins d’exil.
Mais un pacte ancien, scellé dans les entrailles
De la ville en lambeaux qui grondait sous leurs pas,
Exigeait en tribut le sang des funérailles :
Aimer, c’était creuser leur tombe à chaque pas.
« Fuyons ! clama le poète un jour de pluie acide,
Loín de ces clairs-obscurs où rôde le trépas !
Je bâtirai pour toi un palais de pyrite
Où les heures mourront sans nous voir vieillir. »
Elle secoua lentement sa tête altière,
Déjà plus statue que corps à étreindre :
« Je suis liée aux vents, à l’âme de la pierre…
Partir, ce serait nous réduire à ne plus être. »
Les lunes s’écoulèrent, lentes et narcoses,
Leurs baisers alourdis par le poids du présage.
Un matin, elle vint, vêtue d’un froid rose,
Ses yeux chargés d’adieux et d’un sombre message :
« Écoute… Les remparts chuchotent mon vrai nom.
La cité veut reprendre ce que j’ai dérobé :
Les instants volés au néant, les draps d’automne…
Notre serment se fissure. Il faut m’oublier. »
Il rit, ce rire atroce des condamnés libres,
Embrassant son reflet qui pâlissait déjà.
« Si tu n’es qu’un mirage, alors que les cieux vibrent
Sous les coups de ton départ, que mon sang se tarra !
Je briserai les tours, les caveaux, les augures,
J’inonderai ces murs qui te retiennent captive…
— Tu ne comprends donc pas ? gémit-elle, impure
De douleur, je suis morte avant que tu n’arrives. »
Le jour se déchira. Ses doigts translucides
S’effilochèrent en brume et feuilles séchées.
Il voulut retenir ces paumes qui lui glissent,
N’étreignant que l’odeur des roses fanées.
La ville tout entière, comme un cœur qui s’écroule,
Tomba en poussière au son d’un sanglot rauque,
Et lui, debout parmi les ruines en fouille,
Écrivit un dernier vers dans l’argile des loques.
Maintenant, quand la brume enrobe les décombres,
On dit qu’un murmure traverse les gravats :
Une voix d’homme écorché mêlée au vent sombre,
Qui répète un amour plus vaste que le temps.
Mais chaque aube renaît, infidèle et muette,
Emportant dans son lait les syllabes d’un nom…
L’écho meurt dans les trous des fenêtres mortes :
C’est ainsi que s’achève un serment maudit.
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