L’Écho Ciselé des Heures Perdues
Dans le silence épais d’antiques silhouettes,
Sous un ciel cendreux où s’efface la fête,
S’érige un vieux manoir aux volets clos, tirés,
Gardien las des jours qu’il ne peut oublier.
Là, sous l’ombre épaisse d’une lourde persienne,
Dort un observateur, âme en veille, en peine,
Libellule spectral, prisonnier des heures,
Voyageur immobile au sein des pleurs mûres.
Ses yeux, deux éclats d’azur à demi-voilés,
Fixent l’horizon d’un passé dévoilé ;
Il scrute, il se tait, il recueille l’écho
Des âmes envolées, de leur danse et leur fardeau.
Ô temps ! cruel sculpteur de nos destins fanés,
Tu dilues en silence les espoirs dorés,
Tu rongeas la sève aux robustes rameaux,
Et tu laissas pourrir les fleurs sous leurs tombeaux.
Il se souvient d’un jour où la lumière claire
Troublait délicate la poussière légère,
Où les murs résonnaient des rires éclatants,
Et la bonde aimante étreignait tendrement.
Des silhouettes de soie, des murmures et des flammes,
La vie tressait sa toile au fil de beaux drames,
Mais l’heure fut venue, implacable, sourde,
De refermer la porte à la mémoire lourde.
— « Pourquoi m’as-tu laissé, toi, doux souvenir ? »
Soupire l’ombre hagarde, en veillant le délire,
« Pourquoi l’étoffe vive de nos instants violents
Se déchire en lambeaux sur la mer du temps ? »
Les heures filent alors, tel un navire ivre
Perdu dans ses brumes, sans espoir de rive,
Et l’ardeur du passé vacille et se meurt,
Dans la nuit de l’oubli, silencieuse pleure.
Par la vitre embuée, la nuit chuchote encore,
Des secrets enfouis sous d’antiques décors,
La lune jette un voile de perle mélancolique,
Sur la poussière épaisse, ode funèbre et lyrique.
L’observateur las, figé dans son alcôve,
Se fait l’écho muet de ses songes sans trêve,
Il scrute, il espère, il pleure et il se dérobe,
Au châtiment tacite de l’inexorable globe.
Chaque ride du bois, chaque craquement morne,
Raconte l’insoutenable théâtre des conformes,
La lente agonie des amours éclatées,
Le poids des adieux et des âmes voilées.
Puis, dans ce silence où seul le temps se meut,
S’élève un dernier souffle, un adieu précieux,
Car le manoir s’endort, s’enfonce dans la brume,
Et l’observateur sombre au fond de sa rancune.
Dans le creux de l’oubli, sa voix se mue en vent,
Portant vers l’infini ce pain d’anticipant :
Que tout ce qui vécut, sous ce toit moribond,
Repose à jamais dans l’eau du temps profond.
Face au néant lancé, un ultime regard,
L’âme lasse qui chancelle, emportée par le hasard,
Le rideau se ferme sur les heures envolées,
Et l’homme, pauvre spectre, sombre dans l’éternité.
Ainsi s’éteint la flamme aux anciennes battisses,
Sous les volets clos, la mort en douce prémices,
L’histoire s’efface, scintille, puis s’effondre,
Dans le gouffre glacé d’un avenir sans nombre.
O lecteur, songeur, écoute ce doux truisme :
Le temps n’est qu’une cage où s’enferme la bise,
Et celle qui jadis sur nos vies chantait,
Ne laisse au cœur des hommes qu’un silence discret.