Les Larmes Silencieuses du Château Désolé
Sur un tertre oublié que rongeait les hivers.
Ses vitraux éventrés, gueules de nuit fiévreuses,
Pleuraient des oraisons sous les astres amers.
En son cœur, une ombre errait, frêle et sépulcrale,
Drapée d’un deuil ancien que le temps alourdit.
Éléonore était son nom, âme en spirale,
Dont les pas résonnaient dans l’écho maudit.
Vingt printemps avaient fui depuis le dernier rire,
Depuis que le destin, faucheur au geste vil,
Avait tranché d’un coup les liens du délire,
Laissant l’amour en cendre et l’espoir en péril.
Elle guettait chaque aube, aux créneaux solitaires,
L’horizon où jadis s’enfuyaient les galops.
Le vent, seul confident de ses vœux salutaires,
Emportait vers la mer le sanglot de ses mots.
Un soir où la lune ourlait les nuées livides,
Qu’un frisson traversa les couloirs sans clarté,
Son regard tomba sur des marques timides –
Des lettres enfouies sous un dallage altéré.
La pierre se souleva, gémissante et rebelle,
Révélant un écrin de parchemin jauni.
L’encre, pâle fantôme, y dansait une sarabande,
Murmurant un adieu jamais entretenu.
« Ô toi qui liras ces mots dans l’âge morose,
Sache qu’un cœur battit pour toi jusqu’à l’effroi.
La guerre m’a saisi, son souffle féroce,
Mais mon âme à jamais repose en ton émoi.
Je t’écris cette nuit où la mort vient en hôte,
Sentant déjà glacer mes doigts lourds de destin.
Ne maudis pas le sort qui nous tient en faute,
Car l’amour vrai transcende et le fer et le temps.
Si tu découvres ceci quand mon corps n’est plus qu’ambre,
Regrette sans pleurer l’aurore qui s’enfuit.
Notre château sera le gardien de ta chambre,
Et l’écho de nos ris hantera chaque nuit. »
Le papier trembla, frêle aile en la main glacée,
Tandis que l’univers semblait choir en lambeaux.
Vingt ans d’attente vaine, vingt ans de foi bernée,
S’écroulèrent soudain en un seul sanglot.
Elle courut, pareille aux bêtes traquées,
Vers la crypte où dormaient les siècles enterrés.
Un sarcophage ouvert, béance inviolée,
Gisait, plein de poussière et de rêves murés.
Sur la dalle, un collier, froide étreinte de perles,
Scintillait faiblement sous les lichens épais.
Elle reconnut l’or que ses doigts avaient frôlé,
Lorsque vivait encor la chaleur de ses bras.
« Pourquoi m’as-tu laissée à l’ombre du mensonge ?
Pourquoi ton ultime aveu m’arrive-t-il si tard ? »
Hurlait-elle aux arceaux sourds à son propre songe,
Tandis qu’un orage ancien grondait quelque part.
Le château tout entier semblait gémir et dire
Les secrets que ses murs avalaient sans retour.
Les portraits aux yeux morts, spectres du souvenir,
Fixaient cette douleur née d’un tardif amour.
Elle gravit les marches de la tour suprême,
Là où jadis leurs cœurs s’étaient juré l’azur.
Le vent mordait sa robe en un geste blasphème,
Déchirant le tissu comme un dernier futur.
En bas, les douves sèches, cicatrices profondes,
Luisaient sous les éclairs d’un ciel vindicatif.
« Puisque l’aube est morte et que les heures sont fondes,
Je vais où plus aucun mensonge n’est motif. »
Son pas frôla le vide un instant suspendu,
Puis s’abîma dans la nuit froide et définitive.
Le château exhalait un soupir éperdu,
Tandis qu’au petit jour, spectrale et repetitive,
Une forme légère erre en les corridors,
Cherchant parmi les ronces un collier perdu.
Les paysans disent qu’on entend, quand vient l’aurore,
Deux voix mêlées au chant du vent éperdu.
Mais nul n’ose franchir les grilles rouillées,
Où le lierre serpent étouffe les vestiges.
Seul le clair de lune, en larmes déployées,
Berce cet eternel adieu sans sortilège.