Le Corridor des Murmures
Où l’air s’étouffe en soupirs de pierre et de bois,
Errant s’avance, âme en peine, cœur à la lèvre,
Cherchant dans le silence un écho de ses voix.
Ses pas glissent, frêles, sur le pavé rongé,
Que mord la poussière d’un temps trop oubliée.
Chaque mur, chaque poutre, en leur souffle figé,
Gardent l’empreinte sourde d’une vie fanée.
Le corridor s’étire, long serpent de nuit,
Où la lumière fuit, où s’attarde l’ennui.
Les portraits suspendus, figures délavées,
Sont les fantômes muets d’étés oubliés.
Errant, spectateur clair d’un théâtre désert,
Écoute le passé qui s’éveille en secret,
Les voix mortes aux prises avec l’écho amer,
Que délivre un vent froid dans ce long discret.
« Qui donc ose troubler la couche des vieux murs ? »
Soupire une fenêtre aux verrières mornes,
Un grincement plaintif répond, sûr et obscur,
Comme un sanglot léger, l’éternelle discorde.
Il avance, le front courbé, esprit naufragé,
Derrière lui le silence se fait plus dense,
Dans son cœur la résonance d’un âge échappé,
Que ronge l’ombre sourde en son impuissance.
Voici que résonne un murmure, une plainte,
Pareille à la brise lente sur la pierre froide,
Des mots perdus s’élèvent, la mémoire feinte,
D’une âme captive en ce tombeau sans étoile.
« Souviens-toi des jours clairs, quand la lumière
Caresse chaque soir les vastes corridors ;
Le rire s’y chassait la nuit solitaire,
Et l’espoir brillait aux cœurs, pareil à l’aurore. »
Mais Errant reste sourd à ces appels passés,
Son regard se heurte aux ténèbres profondes,
Et, dans ce labyrinthe où souffle l’oublié,
Il se sait étranger aux joies du monde.
Ses mains tremblent en quête d’un sens ancien,
D’une vérité cachée dans les fissures du temps,
Mais seul demeure l’écho des jours incertains,
Et la solitude grandit, morne, pesant.
Un vieux fauteuil bascule, lourd de poussière,
Comme un cœur qui se brise sous le poids des regrets,
Errant s’assoit, las, parmi les vents contraires,
Ses pensées s’égarent, étouffées, en secret.
Son âme se dissout dans un voile de brume,
Ses yeux s’embuent des larmes d’un rêve mort.
Il songe à la vie, à cette aube posthume,
Où s’éclipsent les pas, où tout cesse l’effort.
« Pourquoi survivre au temps ? » se demande-t-il,
Quand la mémoire fuit, quand le monde se fend ?
N’est-ce qu’un chemin nu, rude et difficile,
Que celui d’un errant perdu dans le présent ?
Les murs lui répondent, en leur voix sourde,
Que rien ne subsiste que la trace funeste,
Et qu’en l’être humain sommeille la lourde
Charge d’un chagrin insondable et céleste.
Errant se relève, lentement, faiblement,
Portant sur ses épaules l’ombre d’un passé,
Chaque pas résonne comme un chant défaillant,
Dans le corridor glacé qu’il doit traverser.
Le plafond s’efface en vastes arabesques,
Les fenêtres gémissent des refrains oubliés,
La lumière s’étiole en figures grotesques,
Sur le tapis usé, déroulé, fané.
Il s’arrête, écoute. Une porte s’ouvre—
Un souffle chaud, un fragment d’humanité—
Mais c’est le vent seul qui en secret s’approche,
Craquant sur le seuil d’une réalité brisée.
Alors s’entrouvre un gouffre, un abîme immense,
Où se perdent les rêves et les élans perdus,
Les ombres s’enveloppent d’une sombre danse,
Et le cœur d’Errant se noie, vaincu.
Le temps glisse, silencieux et cruel,
Un fleuve sournois emportant les mémoires,
Et dans ce vieux manoir, sous l’ombre mortelle,
L’Errant se fond, étranger à l’espoir.
Seul reste le corridor, vide et suspendu,
Témoin d’une histoire triste et solitaire,
Où le passé murmure, en soupirs déchus,
La pauvre solitude de toute chair.
Ainsi s’achève l’errance, brisée, sans lumière,
Une âme perdue entre les murs du vieux château,
Et l’écho des jours d’or, jadis éclatants, clairs,
Se dissout dans la nuit d’un silence trop tôt.
Puis le corridor, profond, referme ses bras,
Sur le vide immense et la trace oubliée,
Et le souffle des vents emporte tout-bas,
Le poids lourd d’une vie, en ombre effacée.