Le Désert des Oublis
Où le soleil mordait les chairs comme un érable,
Errait un marin pâle, échoué loin des flots,
Portant l’âme en lambeaux et les yeux sans repos.
Son nom, jadis chanté par les vagues voraces,
N’était plus qu’un soupir perdu dans les espaces,
Et son corps, autrefois sculpté par les courants,
Ployait sous le fardeau des regrets dévorants.
Il marchait sans compter les jours ni les lieues,
Cherchant dans l’horizon la trace des adieux,
Mais le désert, cruel, étalait son mensonge :
Un mirage nacré où dansaient les éponges,
Où glissaient les dauphins d’un azur révolu,
Où son navire en deuil flottait, déjà salué…
« Ô Sirène des sables, à la voix de mielline,
Rends-moi les flots berceurs et leur douceur saline !
Rends-moi le gouvernail qui mordait dans ma main,
Les nuits peuplées d’écume et d’astres sibyllins ! »
Mais le vent ne portait que cendre et que poussière,
Et l’écho répondait par un rire de pierre.
Le marin, chaque soir, gravait dans le rocher
Les noms de ceux qu’il crut un jour pouvoir toucher :
Sa femme au front lunaire, enfant des marécages,
Son fils, fleur de printemps fauché par les orages,
Et le chien au regard plus profond que les mers,
Qui hantait ses rêves de geôlier des enfers.
Un matin, il trouva, sous un ciel de cuivre rouge,
Une épave enfouie où gisait, sans dénoue,
Un carnet aux feuillets rongés par les désirs,
Où se lisaient encor des mots presque saisir :
« Je suis celui qui fut, qui pleure et qui espère,
L’homme des océans devenu légende amère.
Ma chair se fond au sable, et mon cœur, lentement,
Se change en un récif que l’ombre va mangér… »
Soudain, une ombre passa, drapée de silence,
Une femme apparut, spectre de l’absence,
Portant une lanterne où dansait un feu follet :
« Pourquoi cherches-tu l’onde en ce morne palet ?
La mer que tu regrettes n’est qu’un songe antique,
Un reflet effacé par le temps tyrannique.
Ton navire est de poussière, et ton équipage,
Des étoiles mortes qui peuplent les mirages. »
Le marin, étreint par une affreuse clairvoyance,
Sentit fondre ses os sous le poids du silence.
« Mensonge ! cria-t-il, je suis le fils des eaux !
Ma vie fut un combat de houle et de roseaux !
Rends-moi ma vérité, mon combat, mes orages,
Ou brise-moi le corps sur tes rochers sauvages ! »
La femme, sans un mot, leva sa main nacrée,
Et l’horizon trembla, déchirant la contrée :
Le sable se fendit en vagues de douleur,
Les dunes se dressèrent en lames de malheur,
Et le marin, saisi par la mer ressuscitée,
Vit ses membres liés par l’algue ensanglantée.
« Tu voulais revivre l’abîme et son frisson ?
Danse donc avec lui, jusqu’au cœur du buisson ! »
Il lutta, déchirant les tentacules sombres,
Mais chaque mouvement engendrait d’autres ombres,
Chaque souffle arraché nourrissait le néant,
Et son cœur, submergé, battait tel un volcan.
Enfin, il aperçut, au fond de la tourmente,
Son navire fantôme, voilures déchirantes,
Avec, à son bord, des silhouettes de cristal
Qui chantaient son nom comme un funèbre final.
« Je vous reconnais ! », hurla-t-il, l’âme en débris,
« Vous, mes amours perdus, mes soleils obscurcis !
Prenez-moi dans vos bras une dernière fois,
Avant que l’ombre avide n’étouffe ma voix ! »
Mais le vaisseau, tellurique, s’évanouit,
Laissant dans son sillage un vide qui jouit.
Le marin, à genoux, les yeux brûlés de sel,
Comprit que l’univers était un éternel
Oubli. Le désert, tel un chacal fidèle,
Rongea ses derniers mots, sa peur, son étincelle.
Et lorsque vint la nuit, froide et sans alcyons,
Il se coucha, son corps tissé de trahisons.
Le sable, lentement, l’avala sans visage,
Et le vent inscrivit, sur la page des âges,
Un nom que nul ne lit, qu’aucun sanglot ne suit,
Car la mer ne rend pas ce qu’a pris la nuit.
Ainsi meurt un rêveur dans les sables stériles,
Égaré par l’appel des mers immobiles,
N’ayant pour linceul qu’un horizon menté,
Et pour dernière vague, un soupir éventé.
La Renaissance n’est qu’un leurre qui voyage
Dans les cœurs assoiffés d’un impossible âge,
Et ceux qui croient pouvoir ressusciter les morts
Boivent l’ombre en croyant étancher leur remords.
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