L’Ombre et le Verre
S’élevait un miroir aux contours d’argent,
Où dansaient les reflets, fugitifs, mouvants,
Comme secrets enlacés à leur propre globe.
Ce miroir ancien, écho d’un temps passé,
Gardait en son sein, muette, une énigme,
Un double visage au mystère intègre,
Que cherchait à lire un âme désabusée.
Voici Célian, errant au cœur du silence,
Celui qui, las de voir la vie se dérober,
S’en vint vers ce verre aux images voilées,
Pour sonder le secret de son existence.
« Qui suis-je, que je me cherche sans relâche,
Dans ces ondulations, en ce lieu figé ?
Suis-je le vrai, ou l’autre reflet, changé,
Ombre qui me fuit, ou lumière qui tâche ? »
La poussière épaisse, d’un souffle altérée,
S’éleva puis retomba sur le vieux parquet,
Comme autant de pensées voilées, en secret,
Qu’on enterre au fond de l’âme oubliée.
Le miroir murmura des sons inaudibles,
Des bulles de mémoire éclatant au vent,
Chaque image fuyante dessinant pourtant
L’arche fragile d’un homme vulnérable.
Célian vit s’agiter, en doubles volutes,
Son propre portrait, fractionné, dédoublé,
Un visage clair qui ne pouvait cacher
Un autre plus sombre parlant en dissonances.
« Tu cherches la vérité dans ce reflet,
Mais sais-tu que l’homme est fait de différents ?
D’ombres qui s’étirent, de clartés insouciantes,
Le double se mire en un même secret. »
Ainsi la voix semblait sourdre du cristal,
Fantôme d’un monde entre rêve et réalité,
Où s’affrontent sans trêve l’ombre et la clarté,
Dans l’âpre combat du bien et du mal.
Persuadé qu’en lui sommeillait ce mystère,
Célian scruta l’éclat, froid et figé,
Mais sous ses yeux, le reflet se mit à changer,
À dévoiler d’autres histoires éphémères.
Il vit des années, fantômes d’un passé,
Une enfance douce aux contours flous, pâles,
Des blessures secrètes sous voûtes de cristal,
Des sourires ternis par l’heure qui s’est cachée.
Il vit aussi en lui cet homme contradictoire,
Celui qui doute, vacille, se perd et se cherche,
Pourtant jamais ne renonce à franchir l’écorce,
De l’image factice au fond de sa mémoire.
Un éclat nouveau jaillit, pur et incandescent,
Le miroir se fendit en un instant suspendu,
Révélant soudain un gouffre disparu,
Qu’on n’imagine qu’au cœur du néant.
Dans ce vide luisant, Célian comprit enfin,
Que l’identité n’est point une chose unie,
Mais une mer mouvante où l’âme se plie
Au gré des vents lourds, des tutélaires destins.
Il parla alors, voix basse et incertaine,
« Ô vieille glace, dis-moi qui suis-je donc,
Si je ne suis qu’un souffle au gré de l’horizon,
Un être à la fois présent et qui s’éloigne ? »
Le silence répondit, plus éloquent que mots,
Car dans ce miroir, entre deux vies mêlées,
Le double était l’écho de l’éternel balancé,
Entre lumière tendre et fêlure des maux.
Célian quitta alors ce sanctuaire ancien,
Portant en son cœur cette vérité fluide :
Que l’homme n’est complet qu’à l’âme lucide,
Qui reconnaît en lui l’ombre et le chemin.
Le jour se fit plus doux sur les vieux carreaux,
Et dans le reflet terne du dernier éclat,
L’énigme demeurait, non loin d’un au-delà,
Offrant encore à l’homme un avenir nouveau.
Ainsi finit l’histoire au miroir suspendu,
Ni quête résolue, ni clair destin scellé,
Mais une soif suivie, un pas qui s’est élevé,
Sur le fil ténu d’un être confondu.
Où va cette ombre, que cherche ce regard ?
Le double existe, dans chaque secret gardé—
Et Célian, avec lui, continue d’avancer,
Vers l’infini reflet d’un soir sans départ.