Mosaïque de Verre et de Brume
Un Atelier aux voûtes tissées de poussière,
Vit un Créateur au regard apesanti,
Cherchant une vision perdue dans l’ombre claire.
Les murs qu’enserrent mille éclats disséminés,
Fragments de jours fanés, éclairs d’une mémoire,
S’assemblent sans lien, en un rêve brisé,
Mosaïque mouvante où danse le miroir.
Sous la clarté blême d’un soupir d’azur pâle,
Le maître grave ses mains sur l’étoffe du temps,
Tantôt en vain bruit, tantôt silence mortel,
Il tisse l’éphémère en desseins flottants.
Sur la table, éparpillés comme feuilles mortes,
Vieux bouts de papier, éclats de verre fin,
Reliques de songes, ombres informes et fortes,
Offrent un chant brisé aux échos incertains.
« Où saurais-je donc plier l’instant en beauté ? »
Murmure l’âme lasse au cœur ouvert, flottant.
« Quelle forme prendra le souffle oublié,
Quand s’efface en fumée le passé vacillant ? »
Lui, Créateur désarmé devant son propre vide,
Songe à l’énigme fragile qu’il ne peut saisir.
On dirait que son œuvre se détourne, timide,
Un papillon fragile, que le vent veut punir.
Des éclats de cristal, tels miroirs déchirés,
Capturent un reflet mouvant de l’inconnu ;
Ils brillent, puis se brisent, en perles égarées,
Semant sur la toile un rêve jamais tordu.
À l’ombre des poutres rongées par le silence,
Le Créateur vogue aux confins de lui-même,
Cherchant l’harmonie au creux de l’insouciance,
Dans la marée douce d’un dédale bohème.
Une voix intérieure chante en résonance grave :
— Créateur, arrête ces gestes interrompus !
Écoute l’écho frêle de l’instant qui achève,
Ne poursuis plus ce mirage au lointain confus.
Mais le maître, têtu, compose en éclats blancs,
Assemblant les ombres d’une main incertaine.
Lentement vibre en lui l’incendie naissant,
Une quête infinie où tout rêve se déchaîne.
Parfois le silence épouse un souffle de vent,
Et s’élève en rumeur la mémoire en fuite—
Images naufragées sur la mer du présent,
Qui troubleraient la paix s’ils n’avaient de suite.
Les yeux clos, le Créateur voyageur des brumes,
Cherche sous la cendre une flamme encore vive,
Un fragment de jour où la nuit s’allume,
Un éclat de lumière aux frontières furtives.
Il saisit, il brise, il recolle, il transpose,
Mêlant le passé aux clartés du devenir,
Ses mains sculptent le vent, son âme se décompose,
Tandis que s’égrènent les instants ouvrir.
Au cœur du désert antique d’un atelier sourd,
Les murs réclament encore l’histoire fragmentée,
Que le Créateur, sans fin, déchiffre chaque jour,
En quête d’un sens jamais tout à fait trouvé.
Dans chaque éclat se cache un murmure ancien,
Souvent oublié, parfois cruel, parfois tendre.
Chaque lame de verre un éclat de destin,
Une vérité fragile prête à se rendre.
Ses pensées s’enlacent aux fils du temps qui fuit,
Et sa voix s’élève en un chant mélancolique :
— Qui suis-je donc, dans ce puzzle de la nuit,
Où mon reflet s’égare, doux, sans réplique ?
Un soupir fend l’air, s’évanouit sans poids,
Comme la rosée sur les ailes des matins.
Mais dans ce silence, le Créateur croit
Entendre s’éveiller les songes lointains.
Dans la pénombre claire de l’atelier clos,
La mosaïque danse à la lueur d’un espoir,
Fragile équilibre entre chaos et repos,
Où l’âme se perd, sans savoir et sans savoir.
Le Créateur penche alors son front sur la table,
Comme un géant fragile devant un aréopage,
Et son cœur se livre à la nuit indomptable,
Prisonnier d’un rêve immense en naufrage.
Le temps presse son visage de voiles changeants,
Et la vision éclate en éclairs Retrouvés.
Mais nul reflet certain dans ce prisme mouvant—
Juste des morceaux d’aube, des futurs voilés.
Alors, dans l’ombre intrépide où tout se dénoue,
Le Créateur, fidèle au feu qui le dévore,
Se relève, et la mosaïque floue
Se tend, attente immense, au seuil de l’aurore.
La main au vide offert, l’esprit en apesanteur,
Il songe que peut-être la quête est sans borne,
Que la beauté s’épanouit dans la douleur,
Et que l’identité s’enlace au temps qui dort.
Ainsi, dans ce lieu englouti par les murmures,
Le Créateur demeure en quête silencieuse,
Tissant sans trêve l’éphémère qui dure—
Une mosaïque aux couleurs mystérieuses.
Au seuil de ce poème au souffle incertain,
Laissons l’atelier dormir, suspendu dans l’énigme,
Car nul ne sait si la vision soudain,
Fleurira demain, ou restera symptom.
Le voile se referme, promettant des songes,
Où peut-être un jour s’éclora la lumière,
Ou bien s’éteindra, dans le silence et l’ombre,
La quête éternelle du Créateur solitaire.