L’Exilé des Cimes
Un enfant sans foyer, sans berceau, sans sandale,
Grave de ses pas nus l’éphémère sillon
Dans la neige éternelle, étoffe du silence.
Ses yeux, deux lacs brûlants creusés par l’espérance,
Cherchent au ciel hostile un vague auréolon
Qui guide vers les pics où se tord le dragon
Des brumes, dévorant la lumière qui danse.
«Ô toi qui fis trembler les chênes et les forts,
Montagne, mère obscure aux seins de givre morts,
Rends-moi ce que la vie en naissant m’a volé !
Je suis l’ombre sans nom, le fruit sans racines,
L’écho sans voix qui meurt aux grottes sibyllines…»
Mais le vent, noir rhapsode en sa course affolée,
Déchire les sanglots de l’âme exilée.
Un vieux guide apparut, courbé comme un reproche,
Ses mains map du temps, son regard de cloche
Sondeur d’abîmes froids où germe le trépas :
«Retourne, enfant perdu, là où bat la chaumière !
La montagne se rit des fous et des prières.
Elle a pris mon fils hier… Elle ne rend pas.»
L’orphelin, front dressé tel un drapeau de guerre :
«Je cherche où poser mon cœur qui saigne à vif.
Là-haut peut-être…» Il part. Le vieux, spectre pensif,
Murmure : «Viens. Je serai ton dernier cortège.»
Ils montent. La paroi se fait gouffre qui beugle,
Le glacier pleure en craquant ses os d’aveugle,
L’aigle rôde, sentant l’odeur des moribonds.
«Vois-tu ces rocs mordus par les lèvres des âges ?
Chacun porte un secret plus lourd que les nuages.
Ici, l’homme n’est rien qu’un souffle qui se fond.»
L’enfant serre un locket rouillé contre sa tempe :
«Ma mère y dort en paix. La neige est son temple.»
La nuit tombe, ourlant d’argent les cols sépulcraux.
Soudain, le vieux chancelle, atteint par le vertige :
«Prends mon bâton… Va… Moi, je rejoins mon fils.»
Il s’allonge, sourire aux lèvres, yeux sidéraux.
L’orphelin pleure, seul sous les astres frugaux,
Et sculpte un cairn blanc où gît l’ultime guide.
«Adieu. Ton cœur savait ce que le mien devine.»
Trois lunes ont passé. Le froid mord comme un chien.
Ses doigts sont des glaçons, son sang tourne au cyan,
Mais il gravit encor l’escalier sans rampe
Où chaque pas est un combat titanesque.
«Plus haut… Plus près d’elle…» Une voix presque angélique
Sort des gouffres : «Viens donc, fils de la brume antique.»
Enfin, le sommet craque en un rire effroyable.
Un palais de cristal surgit, mirage stable,
Où des ombres sans traits dansent un menuet.
Au centre, sur un trône incrusté de louves,
Une femme de neige aux prunelles de trous :
«Me voici, mère absente et reine des couettes.
Tu m’as cherchée en vain. Ton exil fut ma fête.»
L’enfant tombe à genoux, le locket se brise :
«Vous… ? Mais votre sourire emplissait mes mémoires…»
«J’ai fui ton premier cri, préférant la gloire
Des cimes. Tu n’étais qu’un poids. Va, disparais.»
Le palais se dissout en crissements de verre.
Il reste un froid cru où se meurt la lumière.
L’orphelin, maintenant statue aux veines bleues,
Lève un dernier regard vers les plaines heureuses.
Ses larmes, en tombant, germent en diamants
Qui roulent vers les vals, semence d’amertume.
Le vent chante l’adieu d’un amour qui s’allume
Et s’éteint dans le lit des éternels tourments.
Et la montagne, mère infidèle et sublime,
Referme sur l’enfant exilé de lui-même
Ses bras de néant blanc, linceul et seul baptême.
La neige efface tout. Rien ne reste. Pas même
Cette histoire… Sinon l’écho dans les abîmes
D’un cœur qui crut pouvoir dompter les cimes.
« `