Le Laboratoire des Jours Éphémères
Dans l’antre où le silence soupire et se déploie,
Sous un ciel d’écailles où se brise le Soir,
Vit un alchimiste au souffle doux de l’émoi,
Créateur des instants au reflet de l’espoir.
Son atelier, sanctuaire aux brillants vitraux,
Est un théâtre d’ombre où le temps s’effeuille ;
Là où l’âtre murmure des secrets en échos,
Il mêle la lumière à la poussière folle.
Dans ses mains naissantes, palpites les matières,
Pas d’or jaune soudain, mais des feux de la veille,
Des éclats de banal, les heures ordinaires,
Transformés en parfums qui caressent l’oreille.
« Viens, dit-il, laisse-moi sculpter ton soupir,
Chaque souffle, chaque jour, d’un éclat d’autrefois,
Je saisis l’évanescent, l’oublié, le pire,
Et je l’exalte ici, je l’élève en voix. »
Un éclat de verre, le frémissement d’un verre,
Le tintement léger d’une vieille pendule,
Toute chose est pour lui le creuset nécessaire
À l’ouvrage sublime où le simple s’accumule.
Le temps n’est plus un tyran au regard de pierre ;
Il devient poussière d’or dans ces mains habiles,
Une source intarissable et douce, coutumière,
Un fleuve où la vie danse aux courbes fragiles.
Mais sous l’or et le charme, la fatalité ronge,
Cette flamme insaisissable aux reflets toujours fuyants,
Le souffle s’amenuise et le cœur se débonde,
Aspirant en secret au silence apaisant.
« Que reste-t-il, au fond, aux heures que je façonne,
Quand l’aube de nos jours s’évapore en rien ? »
Le Créateur murmure, l’âme qui s’abandonne,
Au creux des formes vives qu’il façonne sans lien.
Dans l’ombre, une âpre quête, volatile et ardente,
D’immortaliser la vie aux gestes éphémères,
De faire de la mémoire une étoile vivante,
Qui jamais ne s’éteint au souffle des chimères.
Les fioles, les essences, chaque éclat capturé,
Résonnent comme un chant qui défie la nuit noire ;
Chaque minute offerte devient luxuriance pure,
Une offrande au temps, à la beauté, à l’histoire.
À l’aube de ses œuvres, il connaît la légèreté
D’un jour devenu or, d’un instant exalté,
Mais le lendemain naît, blême et décharné,
Et le précieux vécu à nouveau s’efface.
Alors, sous le voile épais de la nuit étoilée,
Il interroge en vain ce mystère profond :
La vie est-elle juste un éclat à harnacher,
Ou un souffle plus vaste qu’aucun art ne dompte ?
Ses mains créent encore, fidèles à leur promesse,
Offrant à l’éphémère un costume précieux ;
Le banal devient charme, la fuite se confesse,
Dans un ballet secret, un rêve silencieux.
Le monde est un creuset où brûle la condition,
Où chaque être fragile cherche sa lumière,
Et dans ce petit laboratoire, la raison,
Tente d’arrêter l’ombre, de dissiper l’hiver.
Ô toi, regardeur des heures, sensible auditeur,
Vois dans ce théâtre un hymne à la beauté,
Non pas la gloire froide, mais la douce lueur
Des instants réinventés par l’éternité.
Car l’or, en vérité, n’est pas ce métal dur,
Ni la pierre précieuse aux éclats trop forcés,
Il est l’éphémère éclat qui toujours rassure
Le cœur, quand il perçoit l’invisible secret.
Ainsi va le laborantin, alchimiste discret,
Dans son univers où tout se métamorphose,
Veillant sur les secondes, les rêves imparfaits,
Créant sans jamais craindre la fin morose.
Et quand le vent s’élève et soulève les voiles,
Quand l’ombre se dérobe et que le temps expire,
Il sourit à l’inconnu, sans chaînes ni étoiles,
Savourant la beauté d’un monde à venir.
Car chaque jour renaît sous l’aube indécise,
Et la quête demeure, en un souffle suspendu :
Trouver dans le banal le miracle promise,
Le poème vivant qui jamais ne se dissout.
Sur le seuil de l’infini, il pose son regard,
Songeur, sans savoir où sa route aboutira,
Entre le songe d’or et le flot du hasard,
Le Créateur des heures reste fidèle au pas.
Alors, voyageur, si tu presses ta foulée
Au cœur de ce laboratoire insaisissable,
Sache que l’or véritable est dans l’âme façonnée,
Dans l’art d’élever l’instant à l’inoubliable.
Et la fin n’est qu’un souffle au bord d’un nouveau mystère,
Un frisson suspendu entre nuit et aurore,
Où le rêveur alchimiste, au-delà des frontières,
Poursuit son œuvre ancienne, dans une danse encore.