L’Éphémère et l’Abîme
Une île se dresse, voilée de brume et d’ombre,
Ses rocs déchirés par les larmes des saisons,
Gardent les secrets d’un destin toujours sombre.
Là, vit Éloïse, âme en lambeaux, cœur de cendre,
Dont les pas incertains foulent un sol maudit ;
Le temps, pour elle, est un miroir qui se fendille,
Où chaque éclat reflète un rêve interdit.
Un soir, quand le soleil, blessé par les nuages,
Teignait l’onde d’un sang pâli par les adieux,
Un navire fantôme, échoué sur les plages,
Apporta l’inconnu qui changea tous ses dieux.
L’étranger, nomade aux prunelles d’opale,
Portait en lui les feux d’un ciel ailleurs éclos ;
Ses mots, doux et voilés comme un chant de pétale,
Semblaient creuser le sable où dorment les sanglots.
« Je cherche, dit sa voix, l’écho d’une promesse
Gravée au front d’un astre aux lueurs de cristal…
— Le sort, ici, ricane en taillant sa jeunesse,
Répondit-elle, au bord d’un rire ancestral. »
Mais sous les orangers aux branches complices,
Leurs silences tissèrent d’invisibles fils ;
L’aurore les surprit, blottis contre les lichens,
Échangeant des fragments de leurs vies en péril.
Il parla de cités où les rêves sont reines,
De ponts d’argent reliant les cieux aux déserts ;
Elle, d’un amour mort étouffé sous les seigles,
D’un serment noyé dans les marais de l’hiver.
Les jours, tels des oiseaux ivres de météores,
Effleurèrent leur monde en suspens dans les airs ;
L’île, sous leurs regards, devint un territoire
Où chaque pierre avait des lèvres pour chanter.
Un matin, il offrit un collier de coquilles
Dont les reflets dansaient comme un rire marin :
« Ceci est un fragment du royaume qui brille
Là où les naufragés dansent sans destin… »
Elle y vit un présage, un sésame fragile,
Et crut, l’espace d’un soupir ébloui,
Que le destin mordait enfin à l’hameçon subtil
D’un espoir assez fort pour délier la nuit.
Hélas ! Le ciel, jaloux de leurs chimères neuves,
Déchaîna les torrents d’un orage mordoré ;
Les vagues, telles mille gorges de veuves,
Rugirent leur fureur sur le couple égaré.
Dans la grotte où jadis Éloïse pleurait seule,
Ils luttèrent contre un vent chargé de couteaux ;
L’étranger murmura : « Notre temps est un leurre…
Je suis ce que tu vois quand tu fermes les yeux. »
Puis, comme un souffle éteint par la pluie qui balaie,
Son corps devint brume, son souffle, souvenir ;
Elle resta, tenant les coquilles froissées,
À hurler son nom dans les crachats du soir.
Les années ont passé, rongeant la falaise brune,
L’île n’est plus qu’un spectre émergeant des courants ;
On dit qu’au clair de lune, une forme se traîne,
Cherchant un collier perdu dans les bourrasques sanglantes.
Et quand la mer se tait, son gémissement rôde,
Mêlant amour et deuil en un chant effrité :
« Le rêve est un éclair qui caresse les larmes,
Mais l’abîme est son seul et éternel époux. »