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Un Peu d’Or dans la Boue
Dans ‘Un Peu d’Or dans la Boue’, Guy Goffette nous plonge dans une profonde méditation sur la condition humaine, mêlant des images évocatrices de la nature à des réflexions sur le passage inexorable du temps. Publié en 1991 dans son recueil ‘La Vie Promise’, ce poème résonne avec la quête de sens dans une existence marquée par les pertes et les espoirs. Chaque strophe nous invite à naviguer entre la beauté et la mélancolie, offrant ainsi une lecture riche et touchante.
I Je me disais aussi : vivre est autre chose que cet oubli du temps qui passe et des ravages de l’amour, et de l’usure – ce que nous faisons du matin à la nuit : fendre la mer, fendre le ciel, la terre, tour à tour oiseau, poisson, taupe, enfin : jouant à brasser l’air, l’eau, les fruits, la poussière ; agissant comme, brûlant pour, allant vers, récoltant quoi? le ver dans la pomme, le vent dans les blés puisque tout retombe toujours, puisque tout recommence et rien n’est jamais pareil à ce qui fut, ni pire ni meilleur, qui ne cesse de répéter : vivre est autre chose. II Le temps qu’on se lève vraiment, qu’on dise oui de la pointe des pieds jusqu’au sommet du crâne, oui à ce jour neuf jeté dans la corbeille du temps, il pleut. Ô l’exacte photographie de l’âme, ces deux mots qui nous rentrent les yeux comme des ongles dans la chair : il pleut. Le sang de l’herbe est vert insupportablement et c’est en nous qu’il pleut, en nous qu’une digue rompue voit s’effondrer peu à peu, derrière la vitre et parmi les voilures, avec des pans de vieux regrets, d’attentes fatiguées, les raisons de partir et d’habiller le froid. III Encore si le feu marchait mal, si la lampe filait un miel amer, pourrais-tu dire : j’ai froid, et voler le cœur du noyer chauve, celui du cheval de labour qui n’a plus où aller. et qui va d’un bord à l’autre de la pluie comme toi dans la maison, ouvrant un livre, des portes, les repoussant : terre brûlée, ville ouverte où la faim s’étale et crie comme ces grappes de fruits rouges sur la table, vie étrangère, inaccessible présent à celui qui ne sait plus désormais que piétiner dans le même sillon la noire et lourde argile des fatigues. IV Peut-être faudrait-il tirer le rideau, laisser le corps tout entier couler dans la fatigue et dénouer l’entrelacs des pensées, la noire étreinte des algues, trancher vif avec ta propre mort, ce qui a été et qui n’est plus, avec ce qui viendra, l’inéluctable marée de sons et d’images que les noyés – dit-on – n’emportent pas, laisser le temps comme la pluie battre ton front jusqu’à ce que tout redevienne poussière dans la chambre du mort : on vide les tiroirs, on balaye et par la porte ouverte la lumière un instant se fait chair et frissonne V On dit : le soleil après la pluie, la mer après la montagne, l’amour après et partir, partir. Demain, quand tout sera, quand tout aura, quand. Promesses des morts si vivre est plus qu’attendre, qu’espérer. Cendres jetées sur le feu qui regimbe un peu puis se tait sans consolation : la nuit tombe, l’aube se lève, un été a passé. Déjà, disent les fumées du hameau tandis que des animaux sans colère continuent d’amasser l’or du temps, l’or de nos yeux avides et si vite fermés. VI Et tu finis par ranger le livre, là-haut, à sa place exacte, ce petit creux d’ombre et d’oubli comme le coin de terre qui te revient. Tu reviens toi aussi à ta place, devant la fenêtre, la table, ce carré de neige que nul encore n’a forcé et qui va dans tous les sens comme ta vie parmi les mots, les morts. Tu sais bien qu’aucun signe ne guérit de l’absence, pas plus que le merle en tombant ne renverse l’axe de la terre, mais tu persiste, ô scribe, à soudoyer les anges : un peu d’or dans la boue, dites, que la nuit reste ouverte. VII Si j’ai cherché – ai-je rien fait d’autre ? – ce fut comme on descend une rue en pente ou parce que tout à coup les oiseaux ne chantaient plus. Ce trou dans l’air, entre les arbres, mon souffle ni mes yeux ne l’ont comblé – et je criais souvent au milieu des herbes, mais je n’attendais rien, je me disais : voilà, je suis au monde, le ciel est bleu, nuages les nuages et qu’importe le cri sourd des pommes sur la terre dure : la beauté, c’est que tout va disparaître et que, le sachant, tout n’en continue pas moins de flâner. VIII Vers l’ouest, avec les derniers rayons roses, en suivant bien la flèche sur le bas trop tendu de la nuit qui s’est penchée pour mettre l’avion dans sa poche, voilà ce qui tient encore, les yeux au ciel, debout sur ce parking où tu effiles dans le gris tes voiles de Colomb, tes routes de la soie et du sel et du seul, en attendant, En attendant que tout finisse (tu dis tout comme celui qui siffle pour garder son ombre à ses côtés dans la ruelle obscure) tout: ce baiser – à peine – du couchant sur les lèvres de celle qui s’en va en te laissant le quai. IX Ce que j’ai voulu, je l’ignore. Un train file dans le soir : je ne suis ni dedans ni dehors. Tout se passe comme si je logeais dans une ombre que la nuit roule comme un drap et jette au pied du talus. Au matin, dégager le corps, un bras puis l’autre avec le temps au poignet qui bat. Ce que j’ai voulu, un train l’emporte: chaque fenêtre éclaire un autre passager en moi que celui dont j’écarte au réveil le visage de bois, les traverses, la mort. X Je me disais: il faut encore, il faut – et les mots couraient devant moi, reniflaient la route, le ciel, les fougères, le ventre mal boutonné des collines puis revenaient, me rapportant un bout de peau calcinée, un fragment d’os: cette vieille et toujours lancinante question du pourquoi ici, moi, pourquoi? – aller venir attendre comme le préposé aux départs, qui ouvre et ferme l’horizon, attendre l’ultime voyageur avant de retourner l’ardoise, d’écrire fermé pour cause de paresse; Extrait de: 1991, La Vie Promise, (Gallimard)
Ce poème de Goffette nous pousse à réfléchir sur notre propre rapport au temps et à l’amour. N’hésitez pas à partager vos impressions ou à explorer davantage l’œuvre de cet auteur captivant.