Le Dernier Soupir du Jardin Silencieux
Où le lierre obstiné mord la pierre effritée,
Un peintre au cœur brisé, fantôme couronné,
De sa palette en deuil caresse une épopée.
Sous les arceaux de buis où murmure le vent,
Il sculpte un songe éteint aux couleurs de souffrance,
Et chaque fleur qu’il peint, pâle et vive en semblant,
S’effeuille en clairs-obscurs sous son pinceau qui danse.
Son amante, jadis, parmi ces lys tremblants,
Posait pour son génie en robe de lumière ;
Mais l’automne a terni leurs serments tremblotants,
Et l’heure a dévoré leur fragile prière.
« Ô toi qui fis de moi l’éternel éphémère,
Disait-elle un soir pâle où s’éteignaient les cieux,
Ton art est un déluge où se noie ma chair…
Je ne suis qu’un reflet dans ton miroir odieux. »
Il voulut retenir cette ombre qui s’échappe,
Mais ses doigts ne serraient que des brumes d’opale ;
Elle partit, laissant un parfum de catastrophe
Et le jardin entier en linceul de pétale.
Les mois, tels des loups gris, rongèrent sa présence.
L’artiste, chaque aurore, aux murs de son enclos,
Peignait d’affreux bouquets nés de sa déraison,
Criant vers l’absente avec des couleurs de démence.
Un jour, il entrevit, sous un saule pleureur,
La robe de jadis flottant comme un mensonge.
Il courut, mais ses bras étreignirent le songe
Qui fondit en glaçons sous les pleurs du malheur.
« Reviens ! » hurlait son âme aux échos taciturnes,
« Sans toi, mes bleus sont faux, mes ors ne sont que fiel !
Le jardin n’est plus qu’un cadavre de miel
Où gîtent les remords en guenilles nocturnes ! »
La lune, un soir d’hiver, glissant son œil lacté,
Le trouva recroquevillé sur sa dernière toile :
Un visage de cendre aux prunelles d’étoile,
Enlacé de ronces d’où suintait sa clarté.
Ses doigts raidis tenaient un pinceau de brume,
Son front maculé d’ombre avait bu tout le temps.
Le jardin, accomplissant son destin fatal,
Enveloppa son corps dans un suaire de rhume.
Et depuis, quand la bise erre en geignant son fiel,
On dit qu’un spectre peint, parmi les herbes folles,
D’innombrables lilas et d’impossibles violes
Qui saignent en coulissant vers le néant cruel.
L’amante, quelque part, vieillit sans autre trace
Que ces tableaux maudits où son rire est captif ;
Leur amour n’est plus qu’un murmure plaintif
Dans le livre du vent qui tourne et se délace.
Ainsi meurent les vœux que le destin dévie,
Ainsi s’éteint l’écho des serments les plus fous :
Le jardin n’est qu’un creux où sanglotte la vie,
Et l’art, un linceul froid où l’on enterre tout.
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