Le Dernier Éclat de l’Onde Furieuse
Défient l’assaut des flots en leur danse éternelle,
Un peintre au cœur meurtri, de rêves accablés,
Cherchait dans l’ouragan l’étincelle nouvelle.
Son pinceau, sans couleur, pleurait sur les toiles mortes,
L’inspiration, fuyant comme un oiseau nocturne,
Laissait ses doigts de glace errer aux portes closes,
Tandis que son esprit brûlait d’un feu taciturne.
La mer, ce jour maudit, gonflait ses vertes robes,
Ses colères d’airain frappant les sombres grèves,
Et le vent, fouettant l’âme en ses sanglots macabres,
Emportait vers les cieux les prières brèves.
« Ô Vagues, donnez-moi ce que la terre refuse !
Criez votre fureur dans mes pigments éteints !
Que votre essence altière en mes couleurs infuse
L’âpre vérité des abîmes sans destin ! »
Mais Neptune, sourdant à l’appel du poète,
Tordait ses cheveux d’algue en un rire effréné,
Et chaque lame d’eau, cruelle et satisfaite,
Déchirait l’horizon de son glaive obstiné.
C’est alors qu’apparut, sous la nue éventrée,
Une ombre dont les pas effleuraient les galets :
Éliane, son cœur, sa lueur adorée,
Dont les yeux reflétaient l’azur des archipels.
« Pourquoi défier l’onde en son courroux sublime ?
Fuis ces rochers maudits où gronde le trépas !
Vois comme l’aquilon déchire tes estimes,
Et ta palette, hélas ! ne te sauvera pas. »
Le peintre, frémissant, saisit sa main pâlie :
« Sans l’art, je ne suis rien qu’un souffle condamné.
Si je n’arrache au gouffre une lueur de vie,
Que reste-t-il de moi ? Un nom abandonné. »
Elle pleura, son chant mêlé au vent sauvage :
« Prends garde, bien-aimé, à ce que tu souhaites :
L’océan ne rend pas les trésors de sa plage,
Et son baiser n’est que l’adieu des squelettes. »
Mais lui, déjà perdu dans les vertiges sourds,
Tendait ses doigts tremblants vers les cieux en démence :
« Vois comme ces éclairs enfantent des contours !
Cette nuit peut offrir la naissance d’un sens. »
Alors, dans un soupir que les rafales happèrent,
Éliane glissa vers les remous grondants :
« Si mon amour te voile la muse espérée,
Je m’offre en sacrifice à ses flots imprudents. »
Son corps, frêle esquif pris dans la tourmente noire,
Disparut soudain sous la crinière argentée,
Tandis qu’un cri déchira la trame de l’histoire,
Scellant leur destin d’une amour ensablée.
Le peintre, statue de sel aux veines vives,
Vit l’abîme engloutir son unique raison,
Et dans chaque rouleau, dans chaque écume vive,
Dansait le souvenir de leur brève saison.
Mais l’art, vampire altier, exigea son tribut :
Sous les doigts convulsifs, une toile naquit,
Où le chaos marin et l’amour aboli
S’unissaient en un chant que le monde pâlit.
Il peignit la douleur, les lèvres de l’absence,
Les cheveux dénoués dans les courants salés,
L’instant où l’infini vole notre essence,
Et les dieux marins, par le drame exilés.
Quand vint l’aube, jetant ses perles sur les larmes,
L’œuvre irradiait d’un terrible savoir :
Chaque trait contenait l’adieu, le deuil, les armes,
Et la mer elle-même cessait de se vouloir.
Mais l’homme, contemplant son génie funeste,
Sentit son âme choir dans les gouffres béants :
« J’ai troqué ton souffle contre un spectre céleste,
Et me voici damné par mes propres néants. »
Il marcha vers les flots qui rongeaient le rivage,
Étreignant la toile où vivait son remords,
Et lorsque l’onde froide emplit son dernier rage,
Le ciel ne pleura point sa fin ni son effort.
Depuis, les soirs d’orage où la houle se lamente,
On dit qu’un couple erre entre écume et granit :
Lui, cherchant éternel l’éclat qui le tourmente,
Elle, offrant en vain son sanglot infini.
Ainsi va le destin des âmes trop avides
Qui pensent l’univers plier sous leurs désirs :
Les dieux rient dans leur temple aux voûtes intrépides,
Et la mer ne rend pas ce qu’ont pris ses soupirs.
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