Le Chant de l’Âme en Cendres
Déployait ses ailes sur les cités en pleurs,
Un poète maudit, épris d’un feu tenace,
Errait parmi les deuils et les champs en douleurs.
Son nom, Aurélien, murmure d’éphémère,
S’effaçait comme un vers sous l’orage ennemi.
Les mots, ses seules armes contre le tonnerre,
Coulant de sa plume en un sang ennobli.
Il aimait Élodie, ange aux paupières closes,
Dont les cheveux tissaient la nuit et le jasmin.
Leur amour, un sonnet où vibraient toutes choses,
Fut brisé par le cri d’un clairon inhumain.
Un temple oublié, gardien de sombres mystères,
Se dressait au milieu des plaines de l’effroi.
Ses colonnes, doigts pâles étreignant la terre,
Abritaient un secret plus ancien que les rois.
Là, disait la légende, une âme offerte en gage
Pouvait éteindre l’onde où grandit le torrent.
Aurélien, rêvant d’un impossible hommage,
Y vit l’unique voie pour sauver son torrent.
« Ô murs silencieux qui savez les suppliques,
Entendez ce cœur fou que le destin mordit !
Prenez ce que je suis, ces strophes, ces reliques,
Mais qu’elle vive, au prix de mon dernier exit. »
Le vent passa, chargé de cendre et de présages,
Soulevant les lambeaux de son manteau troublé.
L’écho répondit : « Viens, toi que hantent les âges,
Ton chant sera l’obole au Styx inexorable. »
Il gravit les degrés, marbre froid sous ses pas,
Chaque pierre un abîme, chaque ombre un regret.
Les astres, témoins froids de ce funeste pacte,
Voilèrent leur clarté dans un deuil indiscret.
« Je t’offre ma mémoire, et ces mots que j’ai bus,
Ces rêves où sa main guidait mes éclipses.
Prenez mes yeux, mes nuits, mes soupirs superflus,
Mais laissez-lui le monde et ses matins limpides. »
Le temple alors frémit, géant éveillé,
Tandis qu’une lueur, spectre aux lèvres d’argile,
Enlaça le poète en un dernier ballet :
« Tu seras oublié, mais ton amour brûlera. »
Quand l’aube déchira les voiles du repaire,
La guerre se tut, lasse de son propre écho.
Élodie, tremblant comme un dernier mystère,
Chercha en vain celui dont le souffle était l’eau.
Elle trouva, sculpté dans la pierre qui pleure,
Un visage de brume aux traits familiers,
Et près de lui, un livre où dansait la douleur
D’un poème inachevé… son nom en dernier vers.
Désormais, chaque automne où les feuilles déclinent,
Une ombre près du temple écoute les ruisseaux,
Et dans le chuchotement des chênes qui s’inclinent,
On entend deux amours mêlés à leur sanglot.
L’histoire dit qu’en ces lieux, quand tombe la nuit triste,
Les mots du poète mort, enlacés aux roseaux,
Coulent comme un adieu que le temps ne résiste,
Et que pleurent les murs en d’éternels caveaux.
Ainsi finit le chant de l’âme éprise et tendre,
Qui choisit le néant pour laisser place au jour.
Les guerriers ont vaincu, mais qui saura comprendre
Que la paix eut pour prix un impossible amour ?
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