L’Étreinte des Neiges Éternelles
Un peintre aux doigts fiévreux, épris de l’idéal,
Cherchait l’éclair divin que le vulgaire ignore,
L’âme des cieux glacés que l’aube vient d’éclore.
Son manteau déchiré par les ronces du sort
Flottait tel un étendard souillé par le remord,
Et dans ses yeux brûlait, plus vive qu’un vertige,
La soif de capturer l’invisible prodige.
Un matin où la brume, écharpe de trépas,
Étouffait les échos des ruisseaux en débats,
Il vit se dessiner, sous les sapins en pleurs,
Une forme dansante échappée des malheurs.
C’était une ombre vive aux cheveux de cristal,
Dont les pas effleuraient les gouffres sans vistal,
Une enfant des sommets que la nuit avait faite
Reine des solitudes où la clarté s’arrête.
« Ô toi qui sculptes l’air comme un frêle parfum,
Viens peupler mon désert d’un songe coutumier ! »
Dit-elle en inclinant son visage de craie,
Sous un ciel de suie où pleuraient les corbeaux.
Il la suivit, guidé par ses mains diaphanes,
Jusqu’à l’antre natal où bruissaient les vanes,
Là où l’éternité, suspendue aux stalactes,
Couvait d’un souffle lent les amantes intactes.
Les jours tissaient entre eux un dialogue muet :
Elle, fantôme aimant que le gel avait fait,
Lui, mortel ébloui par ces noces étranges,
Gravaient dans chaque instant l’empreinte des louanges.
« Promets-moi, murmura-t-elle un soir de granit,
De fixer notre histoire au delà de la nuit.
Que ton pinceau traduise, en des couleurs sublimes,
L’ardeur qui défiera les siècles et leurs cimes. »
Il jura sur les bois que le givre a pétris,
Sur l’écho qui répète aux abîmes proscrits,
De revenir avant que ne fonde la lune,
Avec l’œuvre promise en guise de lacune.
Mais les routes du monde sont des pièges changeants :
Un mal inavoué, né sous les cieux beigeants,
Retint l’artiste au seuil des cités mensongères
Où les rêves se vendent au poids des misères.
Les saisons défilèrent comme un chœur de dolents,
La neige ensevelit les serments tremblants,
Et la fée des sommets, en sa tour de silence,
Vit pâlir l’espérance aux lèvres du silence.
Un crépuscule morne où saignait l’occident,
Le peintre enfin rompit les chaînes du prudent.
Il gravit les sentiers que le remords dévore,
Portant comme un trésor la toile encor sonore.
Hélas ! En atteignant le repaire altier,
Il ne trouva qu’un lit de ronces sous l’hiver,
Un suaire de gel où gisait, sans aura,
La poussière d’un cœur que plus rien ne restaure.
Au rocher qui gardait l’écho de leurs ébats,
Une main spectrale avait tracé ces mots las :
« J’ai cru l’amour plus fort que les lois éternelles,
Mais l’homme n’est que vent qui mord la chair des belles. »
Fou de douleur, il peint jusqu’à l’aube naissante,
Mêlant à l’or des ciels les larmes et l’absente,
Créant d’un trait fiévreux, sous les astres défunts,
Le portrait déchirant de l’amour aux cent runes.
Quand vint le dernier coup de pinceau triomphant,
Un rire cristallin monta du néant blanc :
La neige se fit chair, étreignant le chef-d’œuvre,
Et l’emporta vivant dans son sarcophage cœur.
Depuis, les voyageurs égarés dans la brume
Entendent résonner une plainte qui fume,
Et voient, au fond des nuits où se tord le destin,
Deux ombres s’enlacer sur un chevalet d’hiver.
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