Le Serment Englouti
Déchiraient l’horizon de leurs griffes d’écume,
Un soldat, fantôme errant aux regards glacés,
Foulait d’un pas meurtri la grève en amertume.
Son uniforme usé par les vents en courroux
Gardait l’odeur des pleurs et des poudres funèbres ;
Il cherchait dans la brume, à genoux, toujours à genoux,
Le spectre d’un amour promis aux nuits célestes.
« Ô Clémence ! » cria-t-il, voix rougie d’orage,
« L’azur de nos serments s’est-il donc éclipsé ?
Je reviens, comme promis, malgré les coquilles, les orages,
Malgré l’enfer sculpté dans mon cœur de blessé ! »
La mer, telle une bête aux abois, lui répondit
Par un rugissement de vague et de ténèbres ;
Un éclair déchira le suaire de la nuit,
Et l’illusion naquit sous les cieux funèbres.
Apparut alors, dans un tourbillon d’argent,
Une forme drapée de lueurs éphémères :
Cheveux d’algues, regards d’eau douce, et dans les sanglots
La voix de Clémence, mêlée aux chants des chimères.
« Ô toi que j’ai nommée étoile de mes vœux,
Notre pacte d’amour défiait-il les abîmes ?
J’ai compté chaque aurore en égrenant mes nœuds,
Le front ceint de l’horreur et des guerres intimes. »
L’apparence, fragile entre les doigts du vent,
Ouvrit ses lèvres d’ambre où dansaient les mensonges :
« Le temps a dévoré les contours de l’instant,
Et la guerre, là-bas, a scellé tes mensonges.
Je t’attendis trois lunes, trois lunes sans sommeil,
Colline après colline interrogée en prière…
Puis les flots ont grondé leur éternel conseil :
Ton nom fut englouti dans la nuit meurtrière. »
Le soldat, frémissant comme un lierre saisi,
Tendit vers elle un bras marqué de cicatrices :
« Vois ces mains qui t’étreignent au-delà du déni,
Ces lèvres qui murmurent tes syllabes propices !
J’ai traversé la mort et ses fleuves de feu
Pour rejoindre l’arc-en-ciel où nos âmes s’enlacent ;
Le canon a tondu les jours, mais en lieu et place,
Ton amour fut mon phare aux confins de l’adieu. »
L’illusion, voilant ses pleurs de diamant,
Effleura son visage empreint de paysages :
« Regarde, ô mon guerrier, l’océan triomphant
Qui ronge les rochers et les fermes villages.
Notre promesse était un navire de brume,
Voguant sur les hasards d’un destin inclement ;
La guerre a déchiré les voiles de la plume,
Et l’ancre de nos cœurs a sombré lentement. »
Soudain, le vent jeta son masque de colère,
La falaise trembla sous les coups de talons ;
Les vagues, telles mille harpies sanguinaires,
Entourèrent l’amant de leurs noirs tourbillons.
« Prends ma main ! cria-t-il à l’ombre qui s’efface,
Fuyons vers les jardins où le temps est enfant !
— Il est trop tard, dit-elle, en brisant son extase,
L’océan a juré de reprendre ton sang. »
Alors, tel un guerrier face aux hordes barbares,
Il brandit son épée aux reflets de glaçon ;
Mais les flots, déployant leurs crocs titanesques,
L’arrachèrent au roc dans un dernier frisson.
« Clémence ! » hurla-t-il, tandis que l’eau salée
Lui volait la chaleur de ses membres de chair ;
L’illusion sourit, miroir évanoui,
Et la mer engloutit son cri, son nom, sa chair.
Au matin, seul restait, accroché aux falaises,
Un rubis oublié, teinté de souvenirs ;
Les pêcheurs, en silence, lissèrent leurs maisées,
Évitant le rocher hanté par les plaisirs.
Et parfois, quand la lune argente les tempêtes,
On entend une voix chuchoter dans les vents :
« J’attendrais mille ans encore, mille ans de tempêtes,
Pour briser l’illusion de nos serments mouvants. »
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