L’Éternité Froide des Bois
Un peintre errant, hagard, cherchait l’inspiration,
Son pinceau nuet, sec, maudissait les contours
De ce monde éteint où mourait la passion.
La brume, lente reine aux doigts d’argent fluide,
Étirait sur les pins son linceul vaporeux ;
Les feuilles, en tombant, scandaient l’heure livide
D’un temps qui dévorait les songes amoureux.
Il avançait, guidé par les soupirs du vent,
Vers un lac oublié qu’aucun soleil ne dore,
Où jadis, murmurait une légende aux gens,
Une âme en peine veillait, prisonnière encore.
Soudain, entre les troncs torsadés de chagrin,
Une forme glissa, diaphane et sublime :
C’était une ombre en deuil, aux yeux de pérégrin,
Dont le visage avait la pâleur de l’abîme.
« Qui donc es-tu, spectre échappé du néant,
Toi qui hantes ces lieux où le jour se dissout ? »
L’artiste, ému, sentit son cœur battre plus lent,
Tandis qu’elle répondait d’une voix de déroute :
« Je suis l’écho d’un temps que les hommes ont fui,
L’amante sans printemps, la gardienne des mousses,
Celle qui vit en pleurs ce que le monde a lui,
Et dont les souvenirs sont des feuilles plus douces.
Viens, suis-moi vers la clairière où dort mon secret,
Là où les saisons dansent en cercle éphémère ;
Peins mon âme, artiste, avant que ne soit trop tard,
Car l’aube qui vient sera ma dernière mère. »
Il la suivit, troublé par ce destin obscur,
À travers les bouleaux aux écorces blessées,
Jusqu’à un tertre ancien, par les ronces percé,
Où gisait un portrait aux couleurs effacées.
« Voilà ce qui reste de mes vingt ans éclos,
Dit-elle en effleurant la toile délabrée,
Un sourire captif des griffes du chaos,
Une jeunesse en cendre à jamais séparée.
Celui qui m’a peinte jura un amour éternel,
Mais il partit chercher des cieux plus éclatants,
Laissant mon cœur lié à ce cadre charnel…
Depuis, j’attends ici l’oubli des océans. »
Le peintre, saisi d’une ardeur mélancolique,
Installa son chevalet sous un chêne géant,
Mêlant à ses pigments des larmes prophétiques
Pour redonner vie au fantôme élégant.
Nuit et jour, il traça des lignes de tendresse,
Révélant peu à peu sa beauté de douleur,
Mais chaque coup de pinceau, lourd de détresse,
Volait à la spectre un fragment de malheur.
« Arrête ! » cria-t-elle un matin de givre,
« Tu déchires mon être à force de vouloir
Fixer ce qui doit fuir, retenir ce qui vibre…
Mon âme est un étang que trouble ton miroir.
Je ne suis qu’un reflet, une heure évanouie,
Un souffle condamné à errer sans printemps ;
En cherchant à m’aimer, c’est toi que tu détruis :
L’éternité se paie en instants dévorants. »
Mais lui, fou d’idéal, n’entendit que sa quête,
Croyant sauver par l’art ce qui meurt dans le temps ;
Il peignit les cheveux, la robe inquiète,
Les mains jointes en croix sur un sein palpitant.
Pourtant, quand vint le jour d’achever la prunelle,
Ce gouffre où devait luire un espoir subtil,
La toile se fendit d’une entaille cruelle,
Et l’esprit pâlit comme un lilas en avril.
« Trop tard… », murmura-t-elle en frôlant ses lèvres,
« Tu as vu sans comprendre et créé sans aimer.
Mon secret était simple : je ne suis qu’une fièvre,
Un rêve que le vent ne peut que réclamer.
Adieu, toi qui voulus capturer la rosée,
La danse des seconds dans le sablier d’or ;
Apprends que la beauté n’est jamais épousée,
Elle fuit, et sa fuite est son seul trésor. »
Alors, tel un nuage absorbé par l’espace,
Elle fondit en pluie aux premières lueurs,
Laissant l’homme à genoux, embrassant la surface
D’un portrait désormais vide de ses frayeurs.
La forêt, éternelle, reprit son hymne sourd,
Les feuilles ensevelirent chevalet et pigments,
Et le peintre, vieilli d’un siècle en un seul jour,
Erra, hanté par d’impossibles prodiges.
Depuis, quand vient l’automne aux sanglots de cristal,
On dit qu’un vieil esprit, près du lac solitaire,
Tente en vain de peindre, d’un pinceau spectral,
Le visage qui sombre aux enfers de la terre.
Et chaque coup de vent, chaque chuchotement,
Porte l’écho lointain d’une leçon amère :
L’art est le fils pieux du moment qui s’enfuit,
Mais nul ne doit lier l’infini à la mère.
« `