Le Chevalier des Sables Éternels
S’avançait un guerrier à l’armure ternie,
Dont les pas alourdis par les pleurs du passé
Traçaient un sillon d’ombre en ce monde insensé.
Son nom, jadis chanté par les bouches courtoises,
N’était plus qu’un soupir perdu dans les voix froides,
Car il cherchait en vain, sous les cieux sans merci,
Celle dont le sourire éclairait ses nuits grises.
Le vent, cruel messager des amours défuntes,
Lui murmurait parfois des mots lourds de rancoeur :
« Pourquoi braver l’oubli, les mirages du cœur ?
Ton héroïsme altier n’est que cendre qui monte. »
Mais le preux, insoumis aux murmures du vide,
Serrait contre sa cuirasse un ruban délavé,
Dernier vestige ardent d’un bonheur achevé,
Relique d’un adieu en larmes invalidé.
Un soir où le soleil saignait sur les collines,
Il vit danser au loin, parmi les rocs mordorés,
Une forme fugace aux atours diaprés
Dont la voix cristalline évoquait Marceline…
« Ô toi que j’ai pleurée en mille batailles vaines,
Es-tu ombre ou remords, spectre ou réalité ? »
La vision s’enfuit, le laissant halluciné,
Tandis qu’un rire amer roulait dans les arènes.
Trois lunes ont passé depuis cet épiphane.
Le chevalier hagard, brûlé par son tourment,
Grava dans le grès creux un serment déchirant :
« Je franchirai l’abîme où notre sort se fane ! »
Il erra, dévorant l’horizon monotone,
Buvaient les songes morts aux sources d’illusion,
Tandis que le désert, vaste conspiration,
Ourdissait dans son sein une trame latente.
Un matin où le temps semblait suspendre son vol,
Il trouva sous un palmier aux feuilles de métal
Une amphore oubliée où dormait un métal :
Une clé d’or gravée d’un mystique symbole.
« Ô Fortune ! Enfin tu daignes guider mes pas ! »
Mais l’espoir est frileux en ces lieux sans clémence :
La clé tomba soudain, lourde de conséquence,
Dans un gouffre béant qui n’avait jamais bas.
C’est alors qu’apparut, drapé de funérailles,
Un vieillard dont les yeux reflétaient l’univers,
Porteur de vérités autant que de revers :
« Chercheur obstiné, connais le prix des entrailles !
Pour voir ce qui se cache au-delà du mirage,
Il te faudra payer le tribut le plus cher :
Donne-moi ton armure, abandonne ton fer,
Et plonge vers l’énigme où tout destin s’efface. »
Le guerrier hésita, sentant frémir son âme,
Mais le souvenir doux des jours révolus
Lui dicta son destin : « Prends ce qui m’a vêtu,
Mais laisse-moi franchir le seuil de la drame. »
Nu comme un nouveau-né, il descendit sans crainte
Dans les entrailles d’or de la terre qui ment,
Tandis que le vieillard, gardien du firmament,
Fondait en eau salée sur les pierres éteintes.
Au terme d’un dédale aux murs d’obsidienne,
Il découvrit un lac aux reflets de jadis
Où nageaient lentement des souvenirs hardis :
Elle dansait, riante, en robe auburnienne.
« Enfin ! » cria son cœur, vibrant comme une corde,
Mais quand il étendit sa main vers ce bonheur,
L’image se brisa, victime de la peur,
Remplacée soudain par une porte close.
Sur le battant rouillé, une inscription fatale :
« Nul ne peut retrouver ce que le temps a pris,
L’amour n’est qu’un éclair dans la nuit du mépris,
Et ta quête n’est qu’erreur monumentale. »
Le chevalier tomba, foudroyé par l’augure,
Sentant monter en lui le venin du remord :
« J’ai sacrifié tout pour ce vain pacte mort,
Même l’honneur subtil qui parait ma figure ! »
C’est alors qu’une voix, tendre et désincarnée,
Sortit des murs épais comme un parfum d’antan :
« Pourquoi t’obstiner dans ce combat titanesque ?
Notre histoire n’est plus qu’une page fanée.
Va, revis sans le poids des serments illusoires,
Porte ailleurs tes regards que la douceur inonde,
Car je ne suis plus rien que l’écho d’un monde
Où les amours défunts sont condamnés à boire. »
Mais lui, fauve blessé par l’ultime déroute,
Se jeta contre l’huis avec un cri rauque :
« Plutôt mourir ici que de plier le caque !
La mort m’est préférable à vivre sans ma route. »
La porte résista, muette et sans faiblesse,
Tandis que le désert, implacable geôlier,
Lui envoyait son vent chargé de sel cruel
Qui rongeait ses yeux morts et sa peau qui se fend.
Des années ont passé. Sous les cieux implacables,
Une silhouette erre au gré des simouns,
Squelette aux orbites pleins de néants profonds
Qui murmure sans fin des mots intraduisibles.
Les caravaniers disent qu’aux nuits sans lune,
On entend résonner un sanglot cristallin
Qui mêle une femme et un amour enfantin
Au creux des dunes blanches, linceul d’amertume.
Et le ruban fané, jouet des tourbillons,
Danse éternellement sur les sables mouvants,
Épitaphe légère d’un cœur trop vibrant,
Tandis que le destin, impassible, ricane.
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