Une feuille d’érable erre dans la vallée :
Papillon fantastique aux ailes de carmin !
Un enfant, qui folâtre au pied de la colline,
S’Ć©lance pour saisir cette feuille divine :
Enfin, la feuille est dans sa main.
Ne mƩprisez pas, je vous prie,
Cette feuille rouge et flƩtrie,
Léger débris de la forêt :
Dieu la chĆ©rit, puisqu’il l’a faite !
Pour cet enfant déjà poète,
Cette feuille – pour nous muette –
Porte du beau quelque reflet.
Et l’enfant tient sa feuille, et son grand oeil rayonne.
Il contemple longtemps cette feuille d’automne :
Elle a des couleurs d’or, et des lignes de feu.
Le froid l’a fait mourir, et le vent dans la plaine
Depuis le point du jour sans pitié la promène :
Mais c’est encor l’oeuvre de Dieu !
Ne mƩprisez pas, je vous prie,
Cette feuille rouge et flƩtrie,
Léger debris de la forêt :
Dieu vainement ne l’a pas faite !
Pour cet enfant déjà poète,
Cette feuille – pour nous muette –
Porte du beau quelque reflet.
De ses légers ciseaux, la nature avec grâce
A dĆ©coupĆ© la feuille, et, d’espace en espace,
L’oiseau l’a, dans les bois, sculptĆ©e Ć sa faƧon.
Dans sa feuille, l’enfant voit des fleurs, voit des anges, –
Comme il verra, ce soir, des fantƴmes Ʃtranges
Dans le nuage Ć l’horizon !
Bonheur à toi, feuille flétrie,
Qui ce matin dans la prairie
Au grƩ du vent errais encor :
Car, grâce à toi, feuille éclatante,
D’un enfant que ta vue enchante
L’imagination riante
Vient d’entrouvrir ses ailes d’or !
Un doux bruissement de la feuille froissƩe
Fait monter à son front une amère pensée :
L’enfant devient rĆŖveur.- Dans un petit cercueil,
Un jour – ainsi craquaient les feuilles dans la plaine –
Il vit porter sa soeur lĆ -bas, prĆØs d’un grand chĆŖne…
Et quelques pleurs voilent son oeil.
Bonheur à toi, feuille bénie,
Qui ce matin rouge et flƩtrie,
Prenais ton vol dans la forĆŖt :
Pauvre feuille sĆØche et sonore,
Chez un enfant tu fais Ʃclore
Deux plaisirs que le coeur adore :
Le souvenir, et le regret !
Laissez croĆ®tre l’enfant, et ce sera peut-ĆŖtre,
Peintre ou musicien, dans l’art quelque grand maĆ®tre –
A l’orage trouvant de sublimes accords,
Donnant une Ć¢me Ć tout, au soleil, Ć la brise, –
Aux voix du soir, au bruit du torrent qui se brise, –
PrĆŖtant l’oreille avec transports !
Et maintenant, feuille flƩtrie,
Dans la forĆŖt, dans la prairie
L’aile du vent peut t’emporter :
Dieu vainement ne t’a pas faite !
Car, grâce à toi, feuille muette,
Chez un enfant déjà poète
Le feu divin vient d’Ć©clater !
C’est un artiste en fleur que cet enfant Ć©trange :
Peut-ĆŖtre sera-t-il Van Dick, ou Michel-Ange –
Faisant fleurir l’ivoire ou sourire l’airain.
Un jour peut-ĆŖtre, au front de quelque basilique,
Le marbre imitera, sous son ciseau magique,
La feuille qu’il tient dans sa main !
Et maintenant, feuille bƩnie,
Dans la forĆŖt, dans la prairie,
L’aile du vent peut t’emporter !
Envole-toi joyeuse et fiĆØre :
Car, grâce à toi, feuille légère,
L’amour du beau, tendre mystĆØre,
Chez un enfant vient d’Ć©clater !