Le Jardin des Épines Éternelles
Un vieil homme erre, spectre de mousse,
Sous les arceaux de glycines fanées
Qui pleurent l’or des matins condamnés.
Son pas, plus lent que l’heure qui tombe,
Froisse l’haleine des roses en tombe,
Tandis qu’au loin, derrière les murs gris,
Le siècle hurle, mais lui n’entend plus.
Ce jardin fut son royaume fragile,
Où chaque fleur était un évangile,
Un livre ouvert aux parfums d’autrefois
Qu’il feuilletait du bout de ses doigts froids.
Un jour de mai que les lilas s’effilent,
Quand la brume avait noué ses fils,
Il vit danser entre les marronniers
Une ombre blanche aux reflets d’églantier.
« Étrangère, dit-il, ce lieu est un leurre,
Les lys y meurent sans avoir vécu une heure. »
Mais la vision, plus douce qu’un adagio,
Avança, pieds nus sur le sol magique.
Son visage avait la pâleur des cires,
Ses cheveux, un ruisseau de souvenirs,
Et dans ses yeux, deux lunes prisonnières
Reflétaient l’âme entière de la terre.
« Je suis l’écho des matins disparus,
La note bleue entre deux temps perdus,
Chercheur d’absolu à la main frileuse,
Pourquoi ton cœur bat-il comme un oiseau ? »
Le vieillard sentit ses tempes rougies,
Ses veines chanter des hymnes oubliées :
« J’ai cru savoir que les roses trépassent,
Mais vos regards font trembler mes carcasses. »
Elle cueillit une tige de rêve,
Dont les pétales saignaient sans trêve :
« Vois cette fleur née d’un songe ancien,
Elle ignore l’art de plaire ou de fuir. »
Et chaque aurore, sous les tonnelles,
Ils échangeaient des mots en dentelles,
Lui dévidant le fil de ses hivers,
Elle, tissant des silences d’éclair.
« Apprenez-moi, disait-il, ô passante,
À qui je dois ce miracle qui chante.
— Je suis le vent dans les plis du destin,
Une saison qui n’aura pas de fin. »
Mais un soir où les astres pâlissaient,
Elle murmura : « Les roses vieillissent.
Écoute au loin le glas des souvenirs :
Je suis l’amante qu’on ne peut saisir. »
Il la saisit, mais ses bras éperdus
Ne rencontrèrent que l’ombre et le suif.
« Restez ! cria-t-il au néant qui rit,
Je briserai le sceau des nuits impies ! »
Dans un soupir, elle lui tendit
Un bouton d’or tout en lui souriant :
« Garde ceci comme un dernier serment,
Mais souviens-toi : l’éternel est moment. »
Puis elle fondit dans les lavandes,
Laissant derrière une odeur de cendre.
Le vieil homme, tel un arbre foudroyé,
Chuta, son âme en mille morceaux.
Les saisons passent. Le jardin se fane.
Les murs s’effritent. Les fontaines meurent.
Sur une pierre où le lierre s’enroule,
Un bouton d’or flamboie dans la houle.
Parfois, au crépuscule, on entend
Deux voix mêlées au vent printanier :
L’une qui dit « Jamais », l’autre « Toujours »,
Et le jardin pleure des larmes d’amour.
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