Un peu de chair qui chante avant de se faner.
Assis parmi les mots, comme un cromlech imberbe.
Je trouve en eux ma foi ; je pourrais me damner
Pour les plus pervertis.
Cher mot de « coloquinte »,
Tu es l’œuf et la cloche et la cinquième toux
Du jardin trop mouillé.
Ma paupière est empreinte
De ta brune fureur, mot d’ « ecchymose » : tout.
Dans mon esprit, veut te céder ; tu es méduse,
Tu es forêt féline où glousse le ruisseau.
«
Gypaète », mot fou, tu cries, tes plumes s’usent
Contre mon foie ; tu m’as mordu, tu prends d’assaut
Le nuage sacré ; quel fakir, quel ermite
Remplaces-tu dans les mosquées de la terreur ?
Mot d’ « amadou », furtif comme un prêtre, j’imite
Tes carnavals qui récompensent les menteurs
Pour leur plus beau mensonge.
Aucun mot ne me
[sauve.
Si je dis « équateur », c’est la corde où je pends.
Si je dis « aloès », soudain les pierres fauves
Dévorent la montagne, avec des cris de paons.
Mais combien je les aime ! « Œillet » veut dire
[« plage ».
«
Grain » signifie « miroir ». «
Moleskine » et
[« citron »,
Mots si câlins qui m’ont réduit en esclavage !
Je n’ai pas d’autres dieux ; quand ils me jugeront,
Coupable prosateur, je serai la matière
Dont naissent les refrains.
Je m’appelle « cristal », «
Amarante », « coursive », et la voyelle est fière
De boire la rosée dans mon nom végétal.
Mon pseudonyme, « tamanoir » !
L’on dit « cimaise »
En me voyant rêver.
L’on pense « bigarreau »
Dès que mon œil s’égare; et l’ouragan s’apaise
De conjuguer le verbe « étourdir ».
Cérébraux,
Mes vocables !
Gâchée, ma syllabe à rétines !
Je prononce « cravache » : elle est un léopard.
Je répète -« banquise » : elle devient comptine.
Les mots, ces comploteurs, me tiennent à l’écart
De tous leurs guets-apens.
J’annonce « mandra-
[gore » :
C’est un kilo de clous.
Je chante « autodafé » :
Serait-ce une barrique où le vin s’évapore ? «
Pivert », tu n’es qu’un mot; tu devrais m’étouffer.
«
Guillotine », pourquoi n’as-tu pas de pétales
Puisque tu pousses dans la plaine ?
Tapageur,
Mon beau « volcan » : voici trois siècles qu’il avale
Sa propre tête en feu.
Je vis de mes terreurs.
Les moindres mots voudraient signifier autre chose. «
Ivoire » égale « ébène » ; et « colombe »,
[« chardon ».
Ils m’ont désincarné.
Mes verbes s’interposent
Entre moi-même et moi.
Je demande pardon
À ceux qui m’ont connu.
Me voici le suffixe
D’un nom dénaturé.
Qu’on me dise : «
Chacal ! »
Pour insulter ma race. Ô bipède prolixe,
Je meurs de m’exprimer.
La parole est un mal.