Berceuse pour un Pas-de-Chance

Do mon pĂŠtiot ; do ma tototte…. Te viens d’ t’effondrer su’ l’ crottoir comme un bestiau Ă  l’abattoir ou comme un qui s’rait en ribotte. V’lan ! Nib de fieu ! Floc ! Never more ! Les passants caus’nt : ÂŤ C’est h’yeun’ syncope, faurait l’ poser chez l’ pharmacope ! Âť Toi… tu caus’s pas, pisque t’es mort. Un Mossieu qu’a un beau pardosse dit : ÂŤ J’ la connais c’est du chiquĂŠ ! Âť Toi, tu t’ostin’s Ă  fair’ la rosse et tu t’ tais pisque t’es claquĂŠ. Ton bloum pisseux roulĂŠ Ă  terre, ta p’lur’, tes tifs en escaĂŻers, tes sorlots qui montr’nt tes goigts d’ pieds font croir’ qu’ t’es pas un meuyardaire. Voyons un p’tit peu c’ qu’y t’a pris ; on t’ lèv’, on ouvr’ ta requimpette, v’lĂ  qu’on voit qu’ t’avais pus d’ liquette et qu’ tes boĂŻaux sont vert-de-gris. Oh ! ça fait voir d’ quoi t’es crevĂŠ ; chacun se z’yeute avec malaise, le Mossieu lui… s’ tire Ă  l’anglaise du temps qu’on t’arr’couch’ su’ l’ pavĂŠ. Do rataplan ! Do Mad’moiselle… de loin, lĂŠgers comm’ des gazelles deux sergots s’amèn’nt essouflĂŠs, la gueul’ pleine de ÂŤ Circulez Âť ! T’as d’ la veine d’êt’ cuit, autrement quĂŠ qu’on t’ pass’rait dans l’ genr’ mandales pour t’apprendre Ă  fair’ du scandale et ÂŤ causer des rassemblements Âť ! C’mment mon pauv’ vieux, en plein Paris, Ă  deux pas des chouatt’s devantures t’es clamsĂŠ faute ed’ nourriture ? Pas possib’, c’était h’un pari ! Tu sauras qu’ c’est pas comme y faut, qu’ ça s’ fait pas en not’ ÂŤ temps d’ lumière Âť et qu’ les ceuss’ qui dis’nt el’ contraire, c’est d’ la grain’ d’anars et ÂŤ d’ Bonnots Âť. T’as donc pas pu te mette huissier, proprio, barbot, financier ? T’as empoyĂŠ ton ĂŠzistence Ă  rester parmi les ÂŤ Pas-d’-Chance Âť ? SĂťr qu’avant d’en arriver lĂ t’as dĂť t’ cogner Ă  ben des seuils, pus d’eun’ fois rester chocolat, le ventre vide et l’ cœur en deuil. C’est donc ça qu’ t’as pas l’air content, qu’ t’as su’ la tronche un mauvais rire ; en sombrant quoi c’est qu’ t’as pu t’ dire si la Mort t’en a laissĂŠ l’ temps ? Tu t’es p’tĂŞt ben revu p’tit gas quand, au retour de l’atelier, ton Pepa t’ prenait dans ses bras en t’ disant : ÂŤ BonĂŻour mon salĂŠ ? Âť Au temps des preumières quenottes oĂš ta Moman se saoulait d’ toi en t’app’lant : ÂŤ Mon trĂŠsor, mon Roi, mon cien-cien, mon loup, ma tototte ! Âť Et pis t’ fesait dans les tĂŠtĂŠs des papatt’s et des çatouillettes, et t’inondait de baisouillettes, du quiqui Ă  la berdouillette comme eun’ puĂŻe d’orage en ĂŠtĂŠ. Hein, si a t’ voyait lĂ  ta Vieille, A lèv’rait ses pauv’s mains au ciel en disant : ÂŤ Moi que j’ l’ai nourri, y n’est claquĂŠ d’ faim, mon petit ! Âť Maint’nant t’as p’t-ĂŞt’ jamais rien eu que la Solitude et la Peine, t’as p’t-ĂŞt’ jamais tĂŠtĂŠ, goulu, que l’ tĂŠton mou de la DĂŠveine ! Bah ! Ă  prĂŠsent, do ma filleule…. Quoi qu’ t’aye pleurĂŠ, quoi qu’ t’aye souffert, te v’lĂ  sorti de not’ enfer, t’es ÂŤ arrivĂŠ Âť, tu t’ fous d’ nos gueules. Avec eun’ bonne grâce essquise, les flics te lèv’nt Ă  leur hauteur et te balanc’nt comme eun’ marquise d’autrefois, en chaise-Ă -porteurs. Les mĂŞm’s, qui t’emport’nt au p’tit trot, t’auraient truffĂŠ d’ coups d’ bottes ou d’ giffes si t’avais fait grève ou d’ la r’biffe ou bouffĂŠ Ă  l’œil chez Bistrot. Les passants qui sont cor ĂŠmus s’en vont chacun Ă  leu’ z’affaires ; tout Ă  l’heure y n’y pensaient guère, Ă  l’estant y n’y pens’ront pus. Adieu mon p’tit, pars… pour la Morgue. Tout l’ mond’ peut pas, ĂŠvidemment, s’ procurer pour son enterr’ment les griftons, la grand Messe et l’orgue. Mais si des fois tu vas aux Cieux et qu’ tu t’y but’s dans l’ Fils de Dieu, au nom de nos maigres remords n’y racont’ pas comment qu’ t’es mort. N’y dis pas : ÂŤ J’arriv’ de Paris moi Seigneur, qu’étais votre Image ! VoilĂ  comme on vous rend hommage, regardez mes boĂŻaux pourris ! Le turbin a pris ma jeunesse ma santĂŠ, ma joie, mes dĂŠsirs ; et vioque on m’a laissĂŠ moisir, seul et nu devant la Richesse. Et quand Ă  ces gas ĂŠconomes j’ai d’mandĂŠ un peu d’ pain ou d’ pèze ; Y m’ont citĂŠ les ÂŤ Droits de l’Homme Âť et m’ont chantĂŠ ÂŤ La Marseillaise Âť.