Vos mille précurseurs ont foulé mes chemins.
Les ronces de mon cœur griffaient leurs jambes nues
Et mes branchages fous faisaient saigner leurs mains.
Ils ont frayé la route, ils ont coupé les branches,
Atys, pour que tes pieds ne fussent pas blessés.
Mais savaient-ils que tu venais, toi, leur revanche,
M’arracher plus de pleurs qu’ils n’en avaient versé ?
Jusqu’en mes profondeurs où je fuis la conquête.
Je ressuscite en vain ces amants d’autrefois :
J’écarte des cheveux, je soulève des têtes…
Mais ton silence,
Atys, couvre toutes les voix.
Au sable intérieur je cherche des empreintes.
Tel être avait des yeux plus que les tiens ardents.
Je cherche…
Mais ta main force un peu son étreinte
Et je n’ai plus de souffle, et je serre les dents.
O tenace douceur qui sus frayer ta route
Jusqu’où règne et gémit mon étemelle faim !
C’est votre jeune sang qu’au fond de moi j’écoute
Comme un fleuve étranger qui retentit sans fin.
Si ce ruissellement finissait dans mon être.
Si tu sortais de moi par mon flanc large ouvert.
Enfant de l’homme,
Atys, saurais-tu reconnaître
Cet informe visage et ce regard désert ?
Roule dans ma ténèbre, ô fleuve de lumière.
De peur qu’un dieu ne jette avec les astres morts
Cette chair qui sans toi redeviendrait poussière, —
Cybèle à qui le ciel est caché par ton corps !
Je cherche sur ce corps des pistes étrangères.
Tu dis : «
C’est le soleil qui me brûla… »
Tu dis : «
Ma gorge s’est offerte aux flèches de midi.
Mes bras se sont meurtris en dormant sur la terre…»
Mais sur ce corps plus roux qu’un désert, et plus nu,
Les pistes que je suis ont d’étranges méandres.
La trace y brûle encore d’un chasseur inconnu.
D’un camp abandonné je reconnais les cendres.
Je songe qu’une bouche, ici, mordit ton cou.
Et que mon seul amour dont t’irrite la plainte
Foule éternellement un corps sableux et roux.
Traversant ce désert sans y laisser d’empreinte.
Ton œil, trouble océan, ronge un monde meurtri.
J’en gravis les méplats.
J’en suis les pures lignes.
Telle est ma tâche unique : interpréter les signes
De ce visage clos où mon sort est écrit.
Nourriture mortelle et pourtant infinie.
Ce visage de lait, ce visage de sang
N’est plus qu’un fruit tombé dans mes paumes unies.
Qui, dévoré sans cesse, est toujours renaissant.
Les constellations et les vagues brisées,
Les bolides perdus que recueille la mer,
Atys, rien ne vaut ta jeune face usée
Ni cet œil où je bois un long baiser amer.
Même en te trahissant, c’est toi que je respire.
Si je dors contre un cœur, il bat comme le tien.
Mon soleil ne se couche pas sur ton empire :
J’embrase un autre monde, et c’est toi que je tiens.
J’y fuis le culte affreux que ta piété me voue Épargne-moi l’autel, les victimes, les feux…
Je ne veux que ce feu d’aurore sur ta joue
Et l’animal encens qui naît de tes cheveux.