De la cité banale à jamais désertée,
Ainsi qu’une défroque à la hâte jetée,
L’ambition, l’envie et l’inutile orgueil.
Je me suis dirigé vers des cimes lointaines
Sous le vent et la grêle, au péril de réclair.
J’ai, pieux pèlerin, marché sous le ciel clair,
Sans ramasser les fruits et sans boire aux fontaines.
Mais lorsque j’ai touché les sommets convoités,
Et foulé d’un pied sûr les neiges éternelles,
J’ai vu soudain la haine enflammer les prunelles
Que d’un éclat trop vif aveuglait ma fierté.
Hommes sans foi, de quoi se plaint votre colère ?
Suis-je votre rival ? D’un front impérieux
Ai-je exigé de vous l’honneur qu’on rend aux dieux ?
Ai-je réclamé plus que mon juste salaire ?
Je n’ai point, comme vous, construit mon propre autel,
Ni mendié l’encens qui plaît aux âmes viles,
Mais libre, et dédaignant le ruisseau de vos villes,
J’ai marché le front haut, me sachant immortel.
Evitant mes regards oont la fierté vous blesse,
Vous affectez de prendre en pitié mon ardeur.
Hommes qui me raillez, je connais ma grandeur :
Je n’en rougirai point devant votre faiblesse.
Non, de peur d’alarmer vos sottes vanités,
Cn ne me verra pas, honteux de ma victoire,
Renier mon génie ou rabaisser ma gloire,
Et de mon œuvre altière excuser les beautés.
Votre main cache un feu que votre bouche attisée
Comme un tyran, gêné par un secret effroi,
Règne, et pourtant hésite à se proclamer roi,
Vous déguisez l’ardeur de votre convoitise.
Mais moi, je n’irai pas abdiquer ma fierté
Pour la vaine rumeur d’un peuple qui s’étonne.
Lâche celui qui prend le sceptre et la couronne
Sans oser devant tous crier sa royauté !
Je ne cacherai rien de ce que j’ai dans l’âme.
Et nul ne peut prétendre, accusant ma hauteur,
Que je me sois montré sous un masque menteur,
Car un noble désir m’a brûlé de sa flamme.
L’ardeur de vaincre au cœur, et le glaive en mon poing,
J’ai lutté d’un bras fort qu’aucun labeur ne lasse.
Vous, vous avez cherché d’une âme vile et basse
Le profit des combats que vous ne livrez point.
Votre orgueil, se drapant dans sa pourpre usurpée,
Du pouvoir souverain fuit les soucis trop lourds.
Satisfaits de la pompe inutile des cours,
Vous repoussez la main de justice et l’épée !
Brûlants de triompher sans avoir combattu,
Vous avez envié les héros aux yeux calmes.
Mais quand vous saisissiez leurs lauriers et leurs palmes,
Votre pied dédaigneux écartait leur vertu.
Loin des vaines grandeurs que le vulgaire encense,
Puissants du jour, qu’importe à ma sincérité
La pourpre des Césars si j’en ai la fierté,
Et le trône des rois si j’en ai la puissance ?
Mon empire n’est pas ce vain éclat d’un jour
Que votre turpitude à grands fracas réclame.
Il est au fond des cœurs ; il est au fond des âmes ;
Et son pouvoir magique est celui de l’amour.
Vous n’étoufferez pas ma puissante pensée.
Régner sur les esprits est mon splendide espoir.
Ma force et mon ardeur, jusqu’à mon dernier soir,
Jailliront de mon cœur sans regret dépensées.